Contre la pénalisation du service civil

08.09.2025

Résolution adoptée lors de l'assemblée des délégué·es de la JS Suisse du 7 septembre 2025 à Baden (AG)


La Confédération veut prendre six mesures visant à rendre le service civil moins attractif, en particulier après ou pendant l'école de recrues, dans le but de garantir les effectifs de l'armée. Ces mesures incluent notamment l’introduction d’un nombre fixe de 150 jours de service (et donc l'abandon du calcul des jours de service par rapport aux jours de service restants dans l'armée) ainsi que différents durcissements des règles concernant l'accomplissement des jours de service, qui limiteraient fortement la flexibilité et la capacité à planifier le service aussi bien pour les personnes qui l’effectuent que pour leurs établissements d'affectation. En bref, l’objectif est de rendre le passage du service militaire au service civil plus difficile et plus long.

Le service civil est une avancée importante du système suisse de service obligatoire et permet aux personnes qui ne peuvent pas faire de service militaire en raison d'un conflit de conscience de remplir autrement leur obligation de servir. Au-delà du fait que le modèle de service obligatoire est à rejeter en soi, le service civil représente la partie la plus sensée et socialement utile de ce système. Malheureusement, les attaques contre le service civil se sont multipliées ces dernières années.

Le service civil comme bouc émissaire

En partant dans un le cadre d’un système avec un service obligatoire, le service civil est la modalité qui présente le plus d’utilité réelle pour la société. De nombreuses institutions sociales ou sanitaires comme les hôpitaux, les maisons de retraite, les crèches ou les écoles dépendent des personnes en service civil. Cette situation est en soi problématique et révèle une énorme faille dans le système du service obligatoire, à savoir l'exploitation de personnes effectuant un service peu coûteux et imposé par l'État plutôt que l’embauche de personnel qualifié et rémunéré en conséquence. Ajouté à cette situation problématique, le durcissement de la loi sur le service civil (LSC) aggraverait toutefois la situation des structures, compliquerait la planification et ferait finalement peser une forte pression sur l'approvisionnement.

Le Conseil fédéral justifie cette mesure par la nécessité de maintenir les effectifs de l'armée. Le problème des effectifs est un vieux discours de l'armée qui ne tient toutefois pas la route quand on le considère de plus près. L'armée n'est pas trop petite, elle est au contraire illégalement trop grande depuis plusieurs années, comme l'a révélé une enquête du magazine Republik[1]. Même si le problème était réel, ce n'est pas au service civil de résoudre les problèmes de l'armée, mais la Suisse dispose par ailleurs déjà de l'une des plus grandes armées d'Europe par rapport à sa population.

Des milliers de personnes accomplissent chaque jour dans le cadre du service civil un travail extrêmement précieux au profit de la société. Alors que l’armée est parcourue de récits de punitions collectives et d'heures d'attente, les personnes en service civil soutiennent des institutions au rôle fondamental qui ne pourraient survivre dans leur forme actuelle sans ce service. Ce fait et ses conséquences pour les structures concernées ont été omis dans le rapport sur la modification de la loi. Pour le Conseil fédéral et l'armée, le service civil est un bouc émissaire. La Confédération s'inquiète par exemple des coûts économiques élevés liés à l'absence sur leur lieu de travail des personnes en service civil. Elle omet toutefois de mentionner que l’équivalent de ces coûts du côté du service militaire est beaucoup plus élevé.

Les six mesures proposées ne sont pas nouvelles mais copiées mot pour mot d'un projet de loi presque identique. En 2020, le Parlement s'était prononcé sur huit mesures (incluant déjà à l’époque celles que l’on voit reproposées aujourd’hui) mais avait finalement rejeté cette modification. Suite à l'attaque russe contre l'Ukraine et au soutien politique accru dont avait bénéficié l'armée, le groupe parlementaire UDC avait alors copié ce projet de loi en 2022, soit seulement deux ans après son rejet, pour le présenter à nouveau sous forme de motion. Ce procédé, certes pas interdit mais irrégulier et critiqué par la gauche, n'est pas évoqué par le Conseil fédéral.

Droit international

Non seulement le projet repose sur un raisonnement fragile, mais il pourrait aussi être en infraction vis-à-vis de la Constitution et du droit international. Le nombre fixe de 150 jours de service ferait qu’une personne en service militaire qui passerait en service civil se verrait contrainte d’effectuer des jours de service supplémentaires à raison de 150 (contre un facteur 1,5 aujourd’hui). Ce fonctionnement est contraire à l'équité du service et donc au principe d'égalité devant la loi. En outre, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a confirmé que, dans le cas des services civils de remplacement, un facteur 2 est déjà contraire à l'interdiction de discrimination (Pacte international relatif aux droits civils et politiques)[2]. Étant donné qu'aucun tribunal ne s'est encore prononcé sur aucun cas concret pour infirmer ou confirmer cette idée, le Conseil fédéral considère que la modification de la loi est acceptable. Cette approche du droit international est honteuse pour le gouvernement d'un pays qui se proclame humanitaire.

Le Conseil fédéral espère ainsi garder dans l'armée les personnes qui passent au service civil sans conflit de conscience. Cet objectif n’est cependant pas atteignable car les nouvelles règles s'appliqueraient à tous, y compris aux personnes qui ont un conflit de conscience et seraient ainsi pénalisées. Enfin, cette attitude repose sur un discours hautement toxique sur la masculinité vis-à-vis des jeunes qui ne font pas leur service militaire.

La JS Suisse veut abolir toute forme de service obligatoire. D’ici à cette abolition, nous lutterons contre toute attaque contre l'acquis du service civil. En conséquence, nous soutiendrons donc tout référendum contre la détérioration de la loi sur le service civil.


[1] Republik, die Armee ist grösser als erlaubt, 12.12.2022, https://www.republik.ch/2022/12/12/die-schweizer-armee-ist-groesser-als-erlaubt und Republik, Wie der Bund die Armee kleinrechnet, 29.01.2024, https://www.republik.ch/2024/01/29/wie-der-bund-die-armee-kleinrechnet

[2] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1993/750_750_750/fr