Résolution approuvée lors de l’Assemblée Annuelle de la JS Suisse du 15 février 2024 à Berne.
Durant les derniers mois, les crises se sont enchaînées dans les colonies françaises. D‘un côté, la révolte en Kanaky[1], la crise du pouvoir d‘achat en Guadeloupe et Martinique[2], mais aussi l‘urgence et la catastrophe climatique à Mayotte montrent publiquement les limites des pratiques coloniales racistes de l‘État français. De l‘autre, c‘est le néocolonialisme en Afrique assuré par le joug militaire des bases françaises qui est remis en question par l‘expulsion des soldats du Tchad, du Sénégal et de la Côte d‘Ivoire[3]. La position dominante de la France est fortement fragilisée, et de nombreux intérêts stratégiques, militaires et économiques de la bourgeoisie française sont touchés. Face aux protestations, le gouvernement de la Métropole, radicalisé par les forces d‘extrême droite qui s‘approchent de plus en plus du pouvoir, affecte le mépris[4]. Bien loin d‘être de simples dérapages, les éléments du discours macroniste incarnent une nouvelle preuve du caractère colonial du pouvoir français.
Or, la réalité inadmissible par la droite nostalgique de l’âge d’or de l’impérialisme française est la suivante : l’âge du colonialisme est clos. La période d’après deuxième guerre mondiale a connu la plus grande densité de révolutions nationales de l’histoire de l’humanité[5]. Néanmoins, ce n’est pas une libération des anciennes colonies qui s’en est suivi, mais une soumission d’un autre ordre, en adéquation avec la phase actuelle du capitalisme : une situation de dépendance financière, combiné à de nouvelles formes coloniales. Le droit international reconnaît d’ailleurs, à travers des résolutions de l’ONU par exemple[6], le droit à l’indépendance pour les pays et peuples coloniaux, y compris spécifiquement pour le cas de Mayotte qui est une colonie au statut illégal[7]. Or, le droit étant basé sur une vision libérale du monde, il n’assure que des pseudo-indépendances politiques alors même que restent les bases militaires, ou bien la domination du capital du Nord global. Cela est permis, entre autres, par les institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI, etc.) qui, avec une pression financière, force l’ouverture aux capitaux étrangers et permettent aux capitalistes du Nord de posséder un maximum de terres et de moyens de production dans les anciennes colonies.
L’attachement aux anciennes colonies d’un État dont les logiques sont celles d’un Empire colonial entraîne donc les diverses crises, entre autres dans lesdites « collectivités d’outre-mer ». Leur statut est paradoxal car ces régions sont considérées en théorie comme faisant partie officiellement du territoire français, mais en pratique il existe une réelle différence de traitement entre les colonisé·es et les métropolitain·es. Lorsque le nouveau premier ministre français, François Bayrou dérape en Assemblée et énonce que Mayotte ne fait pas partie du territoire national[8], c’est car, pour la droite française, les colonies, même celles qui ont le statut de département, sont inférieures à la Métropole. D’un côté, on leur demande de « s’assimiler » à l’Empire, en reniant leurs culture et besoins d’autonomie, de l’autre on leur refuse le statut de pleine citoyenneté. Cela entraîne immanquablement des différences de traitement entre les citoyen·nes français·es selon leur origine. Combiné à l’exploitation intensive de la terre et des habitant·es de ses colonies, la question n’est donc pas uniquement celle de l’émancipation et de l’autodétermination des peuples, mais aussi fortement liée à la qualité de vie actuellement déplorable dans ces territoires.
En effet, bien que certaines populations aient eu le choix de leur appartenance ou non à l’Empire français à travers des référendums d’indépendance, le choix n’est qu’une façade. Premièrement, le problème de la participation au vote n’est pas à négliger, et soulève de nombreuses questions et indignations, comme en Kanaky avec le gel du corps électoral[9]. De plus, la France a volé de nombreuses ressources aux territoires colonisés, en échange d’un maigre investissement en infrastructures et en filet social. Le rejet de l’Empire signifie pour beaucoup de colonies, et surtout pour les élites politico-économiques de celles-ci, la perte du peu d’avantages qu’elles ont, et leur relégation à une situation d’exploitation et de misère possiblement encore plus intense, comme dans le cas où Mayotte rejoindrait les Comores sans indemnisation[10]. Le système de référendums d’indépendance, s’il n’est pas suppléé par un remboursement correspondant à l’extorsion systématique des ressources des colonies, n’est donc pas juste et ne sert qu’au maintien forcé de la politique impérialiste par la légitimation de l'occupation.
Par conséquent, la JS réitère son soutien inconditionnel et sa solidarité dans la lutte de tou·tes les damné·es de la terre contre les (néo)colonisateur·rices. La JS demande donc :
- L’annulation de toutes les dettes coloniales et la restitution aux colonisé·es d’une somme financière équivalente à ce qui leur a été volé au travers des mécanismes de l’échange inégal et de l’exploitation impérialiste afin que celleux-ci puissent prendre une décision éclairée quant à leur avenir.
- Qu’un référendum d’autodétermination ait lieu dans toutes les colonies françaises et que le droit de vote soit attribué à tou·tes sauf aux colon·es.
[1] https://www.humanite.fr/politique/colonialisme/letat-francais-na-rien-appris-de-lhistoire-en-kanaky-la-deportation-de-sept-independantistes-ravive-la-revolte
[2] https://www.liberation.fr/economie/social/en-martinique-les-manifestations-contre-la-vie-chere-et-les-blocages-de-supermarches-se-multiplient-20240912_FIDK37MPH5GXTCPZKGNKXFO3IY/
[3] https://www.monde-diplomatique.fr/telex/2024-12-France-Afrique-le-naufrage
[4] https://www.liberation.fr/politique/si-cetait-pas-la-france-vous-seriez-10-000-fois-plus-dans-la-merde-les-propos-de-macron-a-mayotte-ne-passent-pas-20241220_TFRN3C54CJA6VE36Q7BO6MG7II/
[5] Bantigny, L., Deluermoz, Q., Gobille, B., Jeanpierre, L. et Palieraki, E. (2023). Une histoire globale des révolutions. https://doi.org/10.3917/dec.banti.2023.02.
[6] https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/mayotte-1994-resolut-ONU.htm
[7] Anthony Goreau-Ponceaud, « Mayotte : État d’exception et colonialité du pouvoir »,
mshbordeaux.hypotheses, en ligne le 25/03/2024. https://mshbordeaux.hypotheses.org/8239
[8] https://www.liberation.fr/politique/outre-mer-quand-les-politiques-ont-un-peu-de-mal-avec-leur-geographie-20241220_EUWFTFMOYRFEDIP6GW3U6E4EPM/
[9] https://www.revolutionpermanente.fr/Pourquoi-le-vote-du-degel-du-corps-electoral-a-fait-exploser-la-colere-du-peuple-kanak
[10] https://www.mediapart.fr/journal/france/280423/mayotte-chronique-d-une-colonisation-consentie