Des assurances sociales solidaires plutôt que la politique du pansement

19.02.2024

Résolution approuvée lors de l’Assemblée annuelle de la JS Suisse des 17 et 18 février 2024 à Berne-Bümpliz

Avec son initiative « Mieux vivre à la retraite », l’USS propose une 13e rente AVS. Il est clair que les retraites sont largement trop basses. L’AVS est aussi clairement plus sociale que les autres piliers et elle disposait fin 2022, contre tous les pronostics passés de la bourgeoisie, de réserves de plus de 47 milliards de francs[1]. Malgré cela, l’initiative présente quelques lacunes. D’après l’argumentaire, les caisses de pension ont chuté d’environ 300 francs en moyenne entre 2007 et 2022[2]. Une rente AVS mensuelle moyenne est d’un peu plus de 1800 francs ; en cas de réussite de l’initiative, elle augmenterait de 150 francs mensuels en moyenne, et pas de 300. Cela ne compense pas la baisse des rentes de la caisse de pension, sans parler du fait que les rentes AVS ont moins progressé que les autres.

Un autre argument est le large écart de rentes entre hommes et femmes[3] auquel le renforcement de l’AVS mettrait fin. Cependant, même l’initiative acceptée, l’écart de rentes resterait à peu près similaire en valeurs absolues.

Aujourd’hui, les différentes rentes du 1er pilier sont étroitement liées. Ainsi, celles de l’assurance survivants (AS) et de l’AI sont aujourd’hui calculées sur la base de la rente AVS de la personne concernée. L’adoption de l’initiative n’impacterait que les rentes de vieillesse AVS, entraînant ainsi une inégalité de traitement au sein du premier pilier[4]. Cela poserait particulièrement problème par rapport aux prestations complémentaires, pour lesquelles la 13e rente ne serait pas prise en compte dans les revenus. Les prestations complémentaires doivent compléter la différence entre les revenus des bénéficiaires de rentes et le minimum vital. Un Oui à l’initiative entraînerait donc de facto qu’un minimum vital plus élevé soit accordé aux bénéficiaires de rentes de vieillesse qu’à celles et ceux de l’AI (dont les quotas de PC sont notablement plus élevés) et de l’AS. Une augmentation de l’AI ne serait toutefois pas compatible avec la formule validiste de l’USS « Toute personne mérite une bonne rente après une vie de travail. », et les rentes de survivant·es font actuellement face à des assauts massifs.

Réduction prévue des rentes de veuves

Après que la CEDH[5] ait réprimandé la Suisse parce qu’elle traitait financièrement moins bien les veufs mariés avec enfants que les veuves, la Confédération a finalement réagi. Plutôt que de niveler vers le haut et payer une rente à vie aux hommes veufs3 avec enfants, tous les parents ne reçoivent maintenant plus l’AS que jusqu’au 25e anniversaire de leur plus jeune enfant. Le Conseil fédéral « corrige » ainsi le problème par le bas. Au moins, l’état civil des parents ne joue maintenant enfin plus aucun rôle dans leur perception de la rente survivant·es.

Si les veuve·eufs marié·es et sans enfants ont perdu leur conjoint·e, elles et ils n'auront droit à la rente de survivant·es que pendant deux ans, indépendamment de leur genre[6].

Mais c’est là que se trouve le problème. Environ 90 % des bénéficiaires de la rente de survivant·es sont des femmes[7]. Elles seraient les plus impactées par cette réforme, ayant déjà des revenus et pourcentages de postes plus bas que les hommes3. Cela pose un particulièrement gros problème pour les femmes d’âge mûr pas encore arrivées à la retraite qui n’arrivent souvent plus à trouver du travail.

Il est d’une insolence indécente de la part de la Confédération d’économiser encore de l’agent sur l’AVS après AVS21, la réforme de la LPP et la chute des rentes des caisses de pensions après avoir promis d’améliorer la situation des bénéficiaires de rentes... Tout cela dans le même temps où elle arrose allègrement d’argent les banques, l’armée et les projets autoroutiers. Selon le plan de démantèlement, les rente survivant·es du Conseil fédéral ne devraient pas être touchées.

Le système de l’AS se base sur une représentation patriarcale de la famille et il faut y apporter des alternatives qui dessinent ce à quoi pourrait ressembler un système plus juste. Supprimer des apports financiers sans les remplacer n’aide pas, en revanche.

Les finances de l’AVS

Voilà déjà plusieurs décennies que la Confédération et les médias relais de la parole bourgeoise prévoyaient que l’AVS se trouvait au bord de la faillite. En même temps que la réforme sur la 13e rente AVS, nous voterons sur l’initiative des Jeunes libéraux-radicaux qui demande de lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie[8]. Cette mesure n’est ni socialemenent juste ni nécessaire. La caisse AVS se remplit toujours plus depuis des années et ses ressources devraient s’élever à 70 mia. de francs d’ici 2023 selon la Confédération[9]. Le spectre de la faillite qu’on veut faire planer sur son avenir n’est que cela, un spectre.

Dans le même temps, le bilan de l’AI était fin 2022 dans le négatif d’au moins 6 milliards. Ceci est dû au fait que l’AI est endettée de plus de 10 milliards auprès de l’AVS[10]. Nous courons donc le risque que les prestations de l’AI soient réduites ou supprimées à l’avenir sur la base de cette dette, mais ce risque pourrait aisément être évité en regroupant l’AI et l’AVS de manière à ce que les gains plus importants de l’AVS équilibrent les pertes de l’AI.

En raison de divers problèmes encore plus grands avec les 2e et 3e piliers, le système à 3 piliers empêche la réalisation d’un système d’assurances sociales solidaire.

La JS demande :

  • l’égalité de traitement pour toutes et tous les bénéficiaires de l’AVS/AI et une 13e rente pour toutes les rentes du premier pilier, indépendamment du résultat de la votation du 3 mars ;
  • une volonté claire des organisations de gauche et du mouvement syndical de s’engager pour des améliorations fondamentales de l’État social ;
  • la fin de la politique d’austérité sur le dos des 99 % au profit des entreprises et du frein à l’endettement ;
  • l’introduction d’une pension populaire financée de manière solidaire pour toutes et tous au sein du 1erpilier.

L’initiative pour une 13e rente AVS n’est guère qu’un traitement des conséquences plutôt que des causes et introduit de nouvelles inégalités. Nous appelons toutefois à son adoption, car elle permet une amélioration des conditions de vie de nombreuses personnes et que, en tant que parti de gauche, nous nous rangerons toujours du côté de l’amélioration des conditions de vie de la classe travailleuse, même quand celles-ci ne dépassent pas le cadre de la structure dominante.


[1] https://www.bsv.admin.ch/bsv/de/home/sozialversicherungen/ahv/statistik.html

[2] https://www.ahvx13.ch/wp-content/uploads/2023/12/Argumentarium_AHVx13_DE.pdf

[3] Les statistiques et bases factuelles correspondantes sont articulées selon un système de genre binaire. Il s’agit donc ici d’inscription officielle du genre, pas de l’identité de genre réelle des concerné·es.

[4] https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2022/1485/de (Remarque : il s’agit là de la notice du Conseil fédéral pour le refus de l’initiative. Quand bien même nous ne sommes pas d’accord avec l’ensemble et de loin, la critique relative à l’inégalité de traitement entre les rentes est ici correcte et bien expliquée.)

[5] CEDH = Cour européenne des droits de l'homme

[6] https://www.admin.ch/gov/de/start/dokumentation/medienmitteilungen.msg-id-99297.html

[7]https://www.srf.ch/news/schweiz/altersvorsorge-lebenslange-renten-fuer-verwitwete-soll-es-nicht-mehr-geben

[8] https://renten-sichern.ch/

[9]https://www.bsv.admin.ch/dam/bsv/de/dokumente/ahv/finanzperspektiven/finanzperspektiven-ahv-bis-2031.pdf.download.pdf/Finanzperspektiven%20der%20AHV%20bis%202033.pdf

[10] https://www.bsv.admin.ch/bsv/de/home/sozialversicherungen/iv/finanzen-iv.html