Solidaire et socialiste : pour l’agriculture de demain !

05.05.2021

Prise de position de la JS Suisse adoptée lors de l'assemblée des délégués du 24 avril (en ligne)


Aujourd’hui, en Suisse, l’agriculture est le domaine où les conditions de travail sont parmi les plus difficiles ou, autrement dit, un des pires domaines dans lesquels travailler. La charge de travail, la précarité et le cadre économique de notre agriculture conduisent à des situations dramatiques. Les paysan·e·s souffrent de burn-out, croulent sous les dettes et les paiements directs ne suffisent de loin pas à leur assurer une existence digne. Les petites exploitations agricoles sont soumises à une pression financière énorme, tant par la charge des dettes qui pèsent sur elles que par la forte concurrence exercée par les grandes exploitations, les géants de la distribution et la libéralisation des marchés internationaux. En Suisse, 4 exploitations agricoles ferment chaque jour, et la pression qui est mise sur les paysan·ne·s a tendance à s’accroître. [A]

L’agriculture est fortement subventionnée, en raison de son caractère essentiel dans l’approvisionnement en nourriture, les services environnementaux ou encore pour l’entretien du paysage. Pourtant, les paiements directs accordés par la Confédération ne touchent pas directement leur cible. Au lieu d’aider les paysan·ne·s mis·es sous pression par le marché, 50% des paiements directs sont captés par les chaînes de transformation et de distribution. [B] Ainsi, l’argent de la Confédération ne sert pas à aider les travailleuses et travailleurs mis sous pression mais bien à contribuer aux profits de Coop, Migros et autres.

L’agriculture est pourtant une profession essentielle, qui doit tirer son épingle du jeu pour produire en suffisance et de manière éthique et écologique les denrées alimentaires pour toutes et tous.

Ce papier de position a pour but de dresser le tableau de l’agriculture suisse, et de proposer une alternative socialiste afin de présenter une vision durable et solidaire de l’agriculture, qui place l’humain, les autres animaux et leur environnement au centre et non plus les profits de quelques-un·e·s.

Quelles conditions de travail dans l’agriculture suisse ?

Aujourd’hui encore, les employé·e·s du secteur agricole ne sont pas soumis·e·s à la loi sur le Travail (LTr). Les règles que nous connaissons, notamment sur le temps de travail, les jours fériés ou encore les vacances ne s’appliquent donc pas au secteur agricole. En plus de cela, il n’existe pas de convention collective de travail (CCT) au niveau national, et les quelques CCTs qui existent accordent des conditions insuffisantes pour permettre de vivre dignement. Les conditions de travail sont régies par des contrats-types de travail (CTT), qui sont des contrats non contraignants édictés sur le plan cantonal. Cela induit une grande difficulté d’organisation au sein de la branche.

Horaires de travail astreignants et bas salaires

En effet, alors que la durée du travail inscrite dans les CTTs est de 53 heures par semaines, la réalité du terrain montre que les employé·e·s agricoles travaillent en moyenne près de 58 heures par semaine. [C] Impossible de le faire sans heures supplémentaires, travail du samedi et même du dimanche, et en enchaînant des journées de travail avec très peu de pauses payées. En plus des horaires astreignants, le salaire minimum moyen est de 14 francs de l’heure, ce qui ne permet absolument pas de mener une vie digne [D], puisqu’un·e employé·e agricole touche un salaire oscillant entre 2000 et 2500 francs par mois après déduction des frais de repas et de logement (auxquels il est difficile de se soustraire lorsque qu’on passe près de 60 heures par semaine sur le lieu de travail). [E] Les salaires réels des employé·e·s agricoles ont même diminué ces dernières années, car l’augmentation du coût de la vie n’est pas prise en compte dans le calcul des augmentations de salaire.

Forte pression du marché libéral

La situation des petit·e·s agriculteur*trices indépedant·e·s n’est pas meilleure. Environ 4 exploitations ferment chaque jour dans notre pays, symbole du profond malaise de la branche. La raison principale est la forte pression économique appliquée par le marché, par les politiques de libre-échange ainsi que par la forte concurrence que représente les grandes exploitations contre les petites. Les agriculteurs et agricultrices sont soumis·e·s à un stress croissant, et cela se répercute dans les statistiques sur leur santé. 12% des agriculteur*trices admettent souffrir d’un burn-out : c’est deux fois plus que pour le reste de la population suisse. [F] En outre, la profession connaît une triste vague de suicide. Le nombre de paysan·ne·s ayant commis un suicide a doublé entre 2009 et 2015. [G] Selon une étude menée sur l’agriculture suisse, c’est la perte de la valeur économique qui semble être vécue par les paysan·es comme une négation de la valeur fondamentale de la profession1. Cette détresse sociale doit être prise au sérieux, surtout dans l’optique d’enfin admettre que la politique de paiements directs actuelle ne suffit pas.

Les difficultés économiques de la branche sont illustrées par la diminution du nombre d’employé·e·s agricoles. Alors que 115'000 personnes travaillaient dans le secteur agricole suisse en l’an 2000, elles et ils n’étaient plus que 85'000 en 20182. Ce développement pourrait ne pas être une mauvaise chose, car l’emploi de nouvelles machines agricoles permet de déployer les ressources humaines de manière plus efficace. On suppose toutefois que la pression sur les prix conduit à une augmentation de la charge de travail par personne.

Le statut encore plus précaire des personnes migrantes et des femmes

La proportion de travailleur*euses étranger·ère·s, qui sont souvent contraint·e·s de travailler au noir est en augmentation. . Même si l’Union Suisse des Paysans a toujours nié l’emploi de travailleur*euses non déclaré·e·s, des études montrent que 8000 personnes sont concernées par le travail au noir dans la branche, en grande majorité des migrant·e·s. [H] Ces travailleur*euses ne disposent d’aucun droit en Suisse, ni d’une protection contre les licenciements ou encore contre le non-paiement des salaires, etc.

Les femmes sont également fortement touchées par la précarité de la paysannerie. Elles occupent bien souvent une place centrale dans les exploitations agricoles familiales en assumant l’immense majorité du travail de care, le travail ménager, tout en partageant en plus de cela le travail agricole. Tout ce travail non salarié ne leur permet pas d’indépendance, ni de prévoyance vieillesse. D’un autre côté, ce sont souvent les femmes qui vont les premières chercher du travail hors de l’exploitation pour apporter des revenus annexes nécessaires à la survie de leur ménage. Ces multiples contraintes les poussent dans une plus importante situation de dépendance que les hommes, et elles sont encore plus touchées qu'eux par le burn-out. Ces problématiques sont notamment thématisées par l'Union suisse des Paysannes et des Femmes rurales qui a, en 2019, exprimé des revendications claires dans le cadre de la Grève des Femmes*. Le travail non rémunéré ainsi que la dépendance financière des paysannes aux paysans doivent cesser.

La JS Suisse revendique donc à court terme :

• Les employé·e·s agricoles doivent enfin être soumis·e à la Loi sur le travail ;

• La mise en place de contrôles réguliers et de sanctions adéquates pour les employeur*eusesen cas de non-respect des prescriptions légales et contractuelles ;

• Un salaire minimal de 5000 francs pour les travailleurs et travailleuses de l’agriculture ;
• Des horaires de travail décents ;
• La légalisation de tou·te·s les travailleur·euses en situation illégale, et droit pour leurs familles à les rejoindre ;
• Un salaire et donc une protection sociale pour les femmes paysannes ;
• La hausse globale de la rente AVS minimale afin d'améliorer la situation des paysannes retraitées ;

• Un accès amélioré au soutien psychologique.

Analyse économique de l’agriculture en Suisse

Si l’agriculture représente moins de 1% du PIB de notre pays, elle emploie tout de même plus de 150'000 personnes dans plus de 40'000 exploitations. Le nombre de personnes actives est constamment à la baisse depuis de nombreuses décennies3. En matière d’auto-approvisionnement4, l’agriculture suisse est capable de produire près de 100% des denrées alimentaires d’origine animale (si on ne prend pas en compte les importations de nourriture pour animaux), et environ 40% des denrées alimentaires végétales, pour un taux d’auto-approvisionnement de 58% en 20185. La production réglementée sur le sol helvétique entraîne également des exportations de denrées agricoles (afin de respecter certains quotas de production, mais également par pur intérêt commercial), qui ont des conséquences dévastatrices pour les agricultrices et agriculteurs du Sud global. Cela crée un cercle vicieux où la production suisse est exportée au lieu d’être consommée sur place, et où l’on importe en conséquence des produits étrangers pour pallier les manques créés artificiellement en Suisse. Cela favorise à terme la spéculation sur les matières premières, dont les effets néfastes ont déjà largement été démontrés6.

Développement des grandes exploitations aux dépens des agricultrices et agriculteurs

Nous pouvons relever quelques tendances qui s’opèrent dans l’économie agricole. Depuis plus de 40 ans, les surfaces agricoles ont peu évolué, si bien que la Suisse est parmi les pays européens avec le moins de surface agricole utile par habitant·e. Dans le même temps, le nombre d’exploitations a baissé de 54%, et le nombre d’emplois également dans des proportions quasi équivalentes, représentant une forte perte de savoir-faire et de connaissances techniques7. L’élevage intensif et les (très) grandes exploitations se développent, si bien que la taille moyenne d’une exploitation agricole a doublé depuis les années 1970 [I], poussée par la pression financière, la mécanisation et les projets technologiques, qui ont remplacé le travail pénible effectué jusqu’alors par les agricultrices et agriculteurs.

Ainsi, cette évolution a profité aux grandes exploitations qui disposaient du capital nécessaire pour améliorer leur outillage et leur production, ainsi que pour racheter de plus petites exploitations. Ceci a eu pour effet pervers d’augmenter drastiquement l’endettement dans le monde agricole. À titre indicatif, entre 2010 et 2016, l’endettement par hectare a augmenté d'environ 20% pour atteindre 31’316 CHF. [J] Or, pour faire face aux grandes exploitations de l’agrobusiness, les petites exploitations sont forcées d’investir pour moderniser leurs équipements, amassant toujours plus de dettes et rendant la viabilité de ces exploitations toujours plus précaire. Cet état de fait a des conséquences dévastatrices pour les agricultrices et agriculteurs, qui peinent à trouver un sens dans leur travail si celui-ci ne résulte que sur des dettes et des difficultés financières.

Les leviers économiques de soutien à l’agriculture

La Suisse soutient l’agriculture par deux axes principaux : premièrement, les subventions et deuxièmement, la politique douanière.

Les montants des subventions se classent en trois axes principaux : paiements directs, soutien de la production et de la vente, et amélioration des bases de production et mesures sociales. Mis ensemble, ces montants représentent environ 60% des revenus agricoles en Suisse. [K] Pourtant, ces montants ne bénéficient pas aux agricultrices et aux agriculteurs : la moitié des subventions distribuées par la Confédération est accaparée par les chaînes de transformation et de distribution. Au lieu de soutenir l’agriculture, nous engraissons les profits des grandes enseignes, telles que Migros ou Coop, qui possèdent de nombreuses entreprises de transformation et imposent des prix invivables aux agricultrices et aux agriculteurs, qui deviennent en conséquence encore plus dépendants de ces subventions.

C’est là qu’entre en jeu le deuxième axe de protection de l’agriculture en Suisse : la protection douanière contre les produits étrangers. Pour bien comprendre l’absolue nécessité de taxes à l'importation, il faut garder en tête que si l’agriculture suisse produit principalement pour le marché suisse, le taux d’auto-approvisionnement reste lui inférieur à 60 %. Il est donc nécessaire de protéger les agriculteurs et agricultrices suisses, qui doivent respecter des critères relativement rigoureux s’ils veulent toucher les subventions de l’État, face aux effets pervers du libre marché.

Cela engendre une différence de coûts évidente : des denrées produites en Suisse sous des conditions strictes seront plus chères sur le marché que celles produites ailleurs, sans critères, à des coûts de production bien inférieurs. Ainsi, des normes existent sur les quotas d’importation de certains produits ou sur les normes que ces derniers doivent atteindre pour être importés en Suisse.

Pressions néfastes de la grande distribution et des importations

Ces leviers doivent être conservés et développés pour assurer la survie de l’agriculture suisse, tant que nous nous trouvons encore dans l’actuelle construction capitaliste d'État-nation. Les agricultrices et agriculteurs subissent aujourd’hui deux pressions lourdes. La première est celles des grandes chaînes de distribution, évoluant dans un marché oligopolistique[X], qui fixent des prix bas en se garantissant des gains copieux lors de la revente une fois les produits transformés. La seconde est celle des produits étrangers importés, qui, malgré quelques réglementations douanières, sont une concurrence déloyale aux produits helvétiques. La situation est ubuesque : les subventions sont détournées, les prix de vente abusivement bas sont contrôlés par les géants de la distribution et de la transformation qui s’assurent des marges copieuses tout en bénéficiant des subventions de l’État, et les produits qui ne trouvent pas grâce sur le marché helvétique sont poussés à l’exportation, nuisant aux marchés extérieurs. Tout un symbole de l’absurdité du marché dans l’agriculture. Un exemple parmi tant d’autres de l’absurdité de ce système est le vin : les vins étrangers importés en Suisse le sont à des prix défiant toute concurrence nationale (près de 40% des vins importés le sont à moins de 1,50 CH le litre). En conséquence, les vins suisses perdent de lourdes parts de marchés et ne représentent plus que 35 % des ventes8. La solution proposée actuellement aux productrices et producteurs est d’exporter.

La JS Suisse revendique donc à court et moyen terme :

• L’introduction d’un moratoire de cinq ans sur la baisse des prix d'achat entre les agriculteur*ices, et la grande distribution et les entreprises de transformation
• Le développement de plateformes d’échange direct entre producteurs*trices et consommateurs*trices ;
• L’augmentation des subventions directes à l’intention des structures agricoles régionales à taille humaine ;
• L’interdiction de la spéculation sur les denrées alimentaires
• Un droit de préemption de l'État en cas d'abandon d'une exploitation agricole, si ni les familles ni les employé·e·s ne veulent la reprendre ;
• La hausse des droits de douane à l'importation pour les produits qui ne peuvent être compétitifs en raison d'une production étrangère trop bon marché.

Effets de l’agriculture sur le climat et l’environnement

Aujourd'hui, l'agriculture et responsable de 14.2% des émissions de gaz à effet de serre en Suisse. La majorité (56%) de ces émissions provient de l'élevage. S'y ajoutent les émissions de protoxyde d'azote issues de l'utilisation des sols agricoles, les émissions dues au stockage du fumier, et les émissions d'ammoniaque dues à une fertilisation faite de manière incorrecte. Ces émissions ont baissé de 10% depuis 1990, essentiellement en raison de la diminution du nombre de bovidés et de l'amélioration de méthodes de production.

Les émissions issues de l'élevage de bétail, et tout particulièrement de l'élevage de bovidés ne peuvent être réduites que jusqu'à un certain point sans faire baisser la taille du cheptel suisse. Il est donc indispensable de réduire l'élevage de bétail, et donc la production de produits animaux. La réduction du cheptel devra aussi permettre de donner plus de place aux animaux. Les modifications dans l'élevage de bétail doivent se faire dans l'intérêt de l'animal. Il existe également des mesures pour réduire les émissions en lien avec l'alimentation.La formation d'humus permet de capturer le carbone, et donc de réduire les émissions supplémentaires. Une autre mesure consiste à arrêter la surfertilisation.

Ces mesures, qui peuvent réduire les émissions de l'agriculture, sont urgemment nécessaires et doivent immédiatement être mises en place si l'on veut atteindre zéro émission nette d'ici 2030 et répondre aux objectifs de l'accord de Paris sur le climat. Ces mesures impliquent des coûts et des efforts, et doivent être soutenues par toute la société car la mise en place d'une agriculture durable et respectueuse du climat incombe à la société dans son ensemble. Cela sera également profitable à l'agriculture elle-même, car elle est déjà actuellement fortement impactée par le changement climatique. Le manque d'eau, la sécheresse des sols, la fréquence accrue des phénomènes climatiques extrêmes et la hausse de la température moyenne remettent fondamentalement en question la production actuelle. Les canicules de ces dernières années, nous ont déjà montré à quel point l'agriculture locale est menacée par la crise climatique.

La JS Suisse revendique donc à court terme :
• Une agriculture extensive[X] pour la constitution d'humus ;
• Une alimentation optimale des animaux d'élevage, et l’application de moyens techniques pour réduire les émissions ;
• La promotion d'une agriculture qui apporte des solutions à la crise climatique ;
• L’interdiction de l’utilisation de l’argent des contribuables dans la promotion de produits animaux.

• Promotion des produits non-animaux

Utilisation néfaste de pesticides et menace de la biodiversité

Depuis l'invention de l'agriculture, des mesures sont mises en place pour protéger les plantes cultivées des influences du monde extérieur. Nous avions et avons encore besoin de ces mesures pour que l'agriculture puisse nourrir l'humanité. Cependant, l'usage de pesticides de synthèse menace non seulement la biodiversité, mais aussi la santé humaine. Une interdiction des pesticides de synthèse est donc une mesure nécessaire, mais qui ne doit pas intervenir seule. D'une part, il est nécessaire de soutenir l'agriculture, et d'autre part, l’accès à des denrées alimentaires saines et abordables doit être garanti pour toutes et tous. L'utilisation de l'ingénierie génétique pourrait avoir une contribution à apporter, mais seulement après une recherche et des tests en profondeur, le tout entre des mains publiques. En outre, l'usage d'OGM ne doit pas contribuer à rendre les paysan·ne·s dépendant·e·s des entreprises de production de semences par le biais des licences.

En plus de la crise climatique menace également une crise de la biodiversité, soit l'extinction irréversible de millions d'espèces animales dans les prochaines décennies. Cette perte détruira des écosystèmes entiers, et s'accompagnera de conséquences sans précédent sur le monde entier. Après les cinq précédentes extinctions de masse connues, il a fallu des millions d'années pour que la nature s'en remette. Cette extinction est due à la destruction des habitats et à l'introduction de poisons dans la nature. La biodiversité ne peut prospérer en monoculture ; une agriculture écologique ayant pour but la préservation de la biodiversité est nécessaire. Cela concerne également les surfaces qui ne sont pas exploitées afin de laisser suffisamment d'espace à la nature.

L'agriculture n'a de loin pas qu'un impact négatif sur l'environnement ; au contraire, dans de nombreuses régions, elle assure une énorme biodiversité. Les alpages, avec leur énorme biodiversité, n'existeraient pas sans le travail souvent difficile de l'agriculture alpine. Cependant, une agriculture qui se soucie de la biodiversité est en opposition totale à la maximisation du profit par les monocultures et l'usage de pesticides. Tant que l'agriculture sera soumise à la pression de la concurrence, la production durable restera un domaine de niche. Il est décevant que le plus gros représentant du domaine de l'agriculture, l'Union suisse des paysans (USP), s'oppose à toute législation progressiste. Ce lobby agricole, formé surtout de grosses exploitations et proche de l’UDC ainsi que du parti "Le Centre", agit clairement contre l'intérêt à moyen et long terme de la majorité des agriculteur*ices.

La JS Suisse revendique donc à court terme :

• L’interdiction des pesticides de synthèse et protection de l'agriculture intérieure par l'application des mêmes règles à l'importation ;
• Lorsque que l'ingénierie génétique sera sous contrôle démocratique, la levée du moratoire et une recherche uniquement dans des mains publiques ;
• La promotion des cultures mixtes et la compensation des coûts liés ;
• L’expansion des surfaces non cultivées.

Notre vision : le système des trois piliers pour une agriculture solidaire et socialiste

La situation actuelle n'est pas satisfaisante. D'une part, l'agriculture bénéficie de subventions étatiques, de paiements directs et d'autres privilèges ; d'autre part, il y a les détaillants, qui, en raison de la faible concurrence des autres acheteur*euses, peuvent dicter leurs prix (il règne ce qu'on appelle un oligopsone). Tout cela coûte cher, génère beaucoup de bureaucratie, et ne parvient pas à assurer des conditions décentes dans l'agriculture ou une participation démocratique. Une alternative au système actuel est nécessaire.

Les objectifs pour une agriculture du futur en Suisse sont clairs : nous voulons des denrées alimentaires et autres produits agricoles produits de manière écologique. Il faut garantir que toute la population ait accès à ces produits en quantités suffisantes. Parallèlement, nous voulons que les personnes qui travaillent sur les exploitations agricoles bénéficient de bonnes conditions de travail et d'une sécurité sociale. Ces conditions sont aujourd'hui inatteignables au sein d'un système orienté vers le profit et organisé en économie de marché. Une agriculture socialiste et démocratique est nécessaire.

Notre vision d'une agriculture socialiste et démocratique s'appuie sur trois piliers : planification, production et distribution.

Planification centralisée de l'agriculture

La production agricole doit être planifiée de façon centralisée. Cela signifie qu'une instance de planification centrale, contrôlée de manière démocratique, devra, en se basant sur les besoins des années précédentes et les projections pour les années suivantes, définir ce qui devra être produit par l'agriculture. Cette instance de planification doit représenter et défendre les intérêts du monde paysan dans sa diversité ainsi que ceux de la population dans son ensemble. Les mandats issus de cette planification seront ensuite distribués aux agriculteur*ices et aux exploitations agricoles en fonction de leurs capacités et de leurs besoins. Celle ou celui qui remplira son mandat de production bénéficiera d'une garantie d'achat. Les prix des produits commandés seront établis de façon à couvrir totalement les coûts de production, afin que les subventions ne soient pratiquement plus nécessaires. Les différents facteurs liés au contexte (comme les conditions géographiques et climatiques, la productivité) seront pris en compte, afin d'éviter toute guerre des prix néfaste. Sinon, les mandats de production agricole peuvent être également confiés à des agriculteur*ices employé·e·s par l'État (voir « production et emploi »)

Cette planification centralisée définira également des objectifs sur plusieurs années, qui concerneront par exemple les conséquences écologiques de la production, c'est à dire la manière dont les émissions de gaz à effet de serre issues de l'agriculture doivent être réduites. Elle traitera également de questions fondamentales telles que le degré d'autosuffisance de la Suisse. Cette forme de planification permet une participation démocratique et une utilisation beaucoup plus efficace des ressources disponibles, et évite le gaspillage dû à la surproduction actuelle et la concurrence inutile.

Production et emploi

Les biens agricoles continueront d’être produits par les agriculteur*ices. Celles et ceux-ci disposeront de deux façons d'obtenir leurs revenus : les agriculteur*ices et leurs employé·e·s pourront premièrement être engagé·e·s par l'État. Elles et ils travailleront sur leur exploitation à remplir les mandats de production qui leur auront été attribués, en échange d'un salaire juste. Leur revenu sera assuré indépendamment du rendement, et elles et ils pourront respecter les conditions de travail définies par la loi.

La production agricole pourra deuxièmement s'organiser en coopératives ou travailler de manière indépendante (par exemple comme petite paysanne) plutôt qu'auprès de l'État. Dans ce modèle de production, les exploitations recevront également des mandats de production de l'État qu'elles devront remplir - celles-ci ne seront cependant pas obligées de mobiliser toute la capacité de production de l'exploitation si la coopérative ou le/la petit·e paysan·ne ne le souhaite pas. Les mandats de production centralisée garantiront une sécurité à ces exploitations, grâce aux prix définis et à la garantie d'achat. Paralèllement, elles pourront également définir une production propre et la distribuer par d'autres canaux. Il est clair que des conditions sociales et écologiques très strictes devront être imposées aux producteur*ices non-étatiques par la planification. Les surfaces agricoles devront également progressivement passer en mains publiques. Elles seront ensuite mises à disposition des agriculteur*ices à travers un droit d'utilisation sans intérêt. L'octroi de droits d'utilisation tiendra bien sûr compte de qui a précédemment habité ces terrains et y travaillé.

Distribution démocratique

Les biens agricoles produits passent des exploitations agricoles aux consommatrice*eurs ou à la transformation selon un processus qui est actuellement en grande partie contrôlé par les grandes entreprises pseudo-démocratiques que sont Coop et Migros. Ces dernières exercent depuis des années une pression sur les prix qu'elles payent aux producteur*ices, et dégagent ainsi une marge considérable. Selon notre vision, la distribution des produits doit également être organisée par l'État et soumise à un fort contrôle démocratique. Les prix d’achat aux producteur*ices, définis à l’avance, seront respectés, la garantie d'achat appliquée, et une distribution efficiente sur tout le territoire sera mise en œuvre. On tiendra également compte des préférences des consommateur*ices en fonction des régions, et on veillera à une répartition équitable des produits. La structure responsable de la distribution définira également quels produits seront importés de l'étranger, et en quelles quantités. Afin que la production intérieure ne soit pas concurrencée par des produits étrangers bénéficiant de coûts fixes plus bas, des taxes à l'importation seront appliquées lorsque cela sera nécessaire. Des produits pourront également être redistribués pour un prix inférieur à leur prix de production. Cela garantira pour chacun·e l'accès à une alimentation saine et écologique, et permettra que les biens intensifs en main d’œuvre, mais tout de même utiles, soient aussi produits.

L'agriculture est un secteur extrêmement important : elle est indispensable à l'approvisionnement de la population et comble le droit fondamental de l'humain à une alimentation équilibrée, tout en remplissant un rôle important dans la protection de l'environnement et l'entretien du paysage. Notre vision socialiste de l’agriculture, basée sur les trois piliers mentionnés, assure que ni les femmes, ni les hommes, ni la nature ne soient exploité·e·s, et garantit un usage raisonnable des ressources naturelles. Il est grand temps de prendre un nouveau départ !

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[A] RTS, 40 ans d'évolution de l'agriculture suisse, 2019: https://www.rts.ch/info/suisse/9826101-40-ans-devolution-de-lagriculture-suisse.html#chap03
[B] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
[C] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
[D] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
[E] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
[F] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
[G] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
1 Forney, Buxtorf, 2018

2 Ce chiffre ne prend en compte que les employés agricoles et pas les paysans indépendants.

[H] Bopp, Affolter, Vom helvetischen Flüchtling bis zu neuen Formen neokolonialer Knechtschaft in der Landwirtschaft: http://www.denknetz.ch/wp-content/uploads/2017/07/Vom_helvetischen_Fluechtling_bis_zur_neukolonialen_Knech-tschaft_in_der_Landwirtschaft.pdf
3 Agristat, L’agriculture suisse en chiffres, 2021, consulté en ligne : https://www.sbv-usp.ch/fr/service/agristat-statistique-de-lagriculture-suisse/

4 Le degré d’auto-approvisionnement indique dans quelle mesure la demande intérieure de denrées alimentaires peut être satisfaite par la culture et la production en Suisse.

5 Rapport agricole 2020, Taux d’auto-approvisionnement, consulté en ligne : https://www.agrarbericht.ch/fr/marche/developpement-du-marche/taux-dauto-approvisionnement

6 La JS Suisse avait d’ailleurs lancé son initiative Stop à la spéculation pour contrer ce système pervers.

7 RTS, 40 ans d’évolution de l’agriculture suisse, 2019, consulté en ligne : https://www.rts.ch/info/suisse/9826101-40-ans-devolution-de-lagriculture-suisse.html
[X] Voir note 9 page 6

[I] RTS, 40 ans d'évolution de l'agriculture suisse, 2019: https://www.rts.ch/info/suisse/9826101-40-ans-devolution-de-lagriculture-suisse.html#chap04
[J] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020
[K] Plattform für eine sozial nachhaltige Wirtschaft, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, 2020

8 Uniterre, Manifeste des paysannes et paysans suisses pour un marché juste et équitable, 2019, consulté en ligne : https://uniterre.ch/fr/thematiques/paysans-paysannes-mobilisez-vous-manifeste-pour-un-marche-ju

[X] L'agriculture extensive est, au contraire de l'agriculture intensive, caractérisée par un faible besoin en capital et en travail (p.ex engrais, pesticides, machines) par rapport à la surface. Le rendement en plantes par unité de surface est plus faible dans l'agriculture extensive que dans l'agriculture intensive.
9 On parle d'oligopole quand un petit nombre d'entreprises domine le marché, et a donc une grande influence sur les prix et les méthodes de production.