Libre-échange avec l’Indonésie: une nouvelle absurdité pour la cupidité des 1%

10.02.2020

Le 27 janvier, une large alliance (dont la Jeunesse Socialiste en fait partie) lance un référendum pour contrer l’accord de libre-échange. Alors que pour beaucoup, l’affaire semblait pliée après l’acceptation de l’accord aux chambres fédérales en décembre, nous avons désormais l’espoir de porter cet accord absurde au vote encore cette année ! Tour d’horizon des raisons qui nous poussent à aller récolter dans la rue en plein mois de février.
Un référendum inédit face à une situation antidémocratique
Les accords de libre-échange ne sont pas nouveaux, mais depuis une vingtaine d’année, ils ont eu tendance à se multiplier furieusement à la suite des blocages des négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Au niveau multilatéral, il n’était plus possible de développer mondialement de nouvelles règles de libéralisation du commerce. Mais comme la route vers la marchandisation générale du vivant ne semblait pas s’arrêter, les états, toujours plus en connivence avec les élites économiques, se sont mis à conclure une multitude de traités bilatéraux limitant leurs propres marges de manœuvre démocratiques pour la gestion de leurs économies.
Dans cette dynamique mondiale délétère, la Suisse a adopté une approche offensive dans la conclusion de ce genre d’accords. A des années lumières de ses principes humanitaires, voilà le secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) qui parcourt le monde en signant à tout va des accords écocides et socialement catastrophiques, mais favorisant le patronat helvétique. Un prétexte revient toujours : face à la concurrence internationale : nous nous devons d’agir sinon nous ne serons plus compétitifs. Premièrement, même notre grand voisin qu’est l’Union Européenne n’est pas aussi offensive pour ce qui est de la conclusion de nouveaux accords de libre-échange avec les pays extérieurs, dont l’Indonésie ; le risque d’être dépassé par les allemands, les français ou les italiens lorsqu’il s’agit d’exporter en Indonésie parce que nos produits seront plus taxés aux douanes indonésiennes que les leur ne s’envisage donc même pas. Deuxièmement, le sacro-saint argument de la concurrence apparaît toujours quand une mesure est impopulaire, ne favorise qu’une minorité aisée ou que le gouvernement veut se dédouaner et ne veut pas faire passer sa décision pour une décision politique forte. C’est bien là que le bât blesse : signer, puis ratifier un accord de libre-échange, particulièrement ceux avec les pays du sud comme dans notre cas l’Indonésie, s’avère être profondément politique. Ne pas l’affirmer clairement et se cacher derrière un concurrence naturelle s’avère être soit de la bêtise, soit un aveu d’impuissance (et donc d’incapacité) soit du mensonge éhonté pour que les gens oublient que des alternatives existent. Laisser la production se faire là où les 1% peuvent polluer et exploiter avec le moins de limites possibles n’est pas l’horizon indépassable de notre société.
Mais au-delà des considérations générales sur la dynamique d’accumulation de notre économie, nous avons en Suisse un problème démocratique dans le processus même de conclusion de ces traités de libre-échange. La société civile n’est, pour la plupart du temps, pas du tout intégrée aux phases préparatoires de ces traités, tout comme le parlement, dont son seul pouvoir est d’approuver ou non le texte tout à la fin : tout ou rien, finissant presque toujours par être tout. Aucune capacité à déterminer le contenu lui-même. Comme le gouvernement Suisse a une vraie proximité avec les groupes patronaux et les gros lobbyings industriels et financiers, ce sont eux qui parviennent à sortir gagnant de la conclusion de ces accords, tel est le cas pour celui avec l’Indonésie qui comprend une libéralisation du secteur bancaire, favorisant les grands groupes helvétiques, ainsi qu’une protection plus stricte de la propriété intellectuelle, allant directement dans le sens des désirs de la pharma bâloise.
Dans l’histoire de la démocratie Suisse, jamais encore le peuple n’a pu voter sur un accord de libre-échange. L’alliance qui s’est créée pour lancer le référendum souhaite amener ce retour de la démocratie dans les questions du commerce international. D’autant plus que l’accord actuel avec l’Indonésie est contre l’intérêt de l’énorme majorité des personnes en Suisse, mais aussi en Indonésie.
Un accord contre les 99% en Indonésie
Rappelons ce que souhaite l’accord de libre-échange avec l’Indonésie : abolir le plus grand nombre de barrières commerciales possibles entre la Suisse et l’Indonésie, pour que des produits agricoles, industriels ou des services puissent plus facilement être échangés du centre de l’Europe vers l’archipel asiatique et vice et versa. Ce qui est visé précisément, c’est un échange de bon procédé, mais de bon procédé que pour les élites économiques des deux pays.
Pour la Suisse les motivations semblent claires : exporter plus de produits pharmaceutiques (dont les brevets sont possédés par Roche ou Novartis) et étendre l’activité des grands groupes bancaires. La conséquence en Indonésie sera claire : la fin des petites banques indonésiennes et une augmentation certaine des prix des médicaments.
Pour l’Indonésie, les motivations ne sont pas les mêmes : exporter plus d’huiles de palme, issus de gigantesques plantations qui se sont développées sauvagement sur le dos des indigènes ou des paysan·ne·s locaux/les qui ont à la conséquence de cela soit migré (des fameux/ses migrant·e·s économiques), soit sont allé·e·s travailler sur ces nouvelles plantations dans des conditions sociales misérables.
Un nouvel exemple de ce qui se fait de pire dans le commerce nord-sud. Avec le nouvel accord, le pays du Nord asphyxiera (car plus développé en Suisse) l’activité économique du pays du Sud dans tout ce qui est haute valeur ajoutée, et le pays du sud se spécialisera dans une activité économique primaire, solidifiant les inégalités Nord-Sud.
Un accord contre les 99% en Suisse
Mais la paysannerie suisse aussi sera fortement touchée par cet accord. Quel sera l’effet des importations facilitées d’huiles de palme produits à moindre coût à des milliers de kilomètres face à la production d’huile de Colza ? Paradoxalement, aucune étude précise n’a été effectuée, montrant l’amateurisme (ou le cynisme) du gouvernement. Mais il est clair que cet accord rendra la vie des paysan·ne·s suisses encore plus difficile encore, raison pour laquelle Uniterre, syndicat paysan, est au cœur de cette campagne référendaire.
Nous sommes dans ce cas sur un vrai choix de société. Des économistes libéraux ont théorisé cela il y a des années : le nord ne sera actif bientôt plus que dans les services et les produits à forte valeur ajoutée, tandis que le sud se concentrera autour de l’agriculture. En découle aucune considération humaine : voulons-nous que les paysan·ne·s suisses perdent leur travail, sous prétexte qu’il est possible de produire moins cher ailleurs ? Non, avoir une alimentation saine et de proximité est un besoin politique clair affirmé à plusieurs occasions par la population helvétique. Importer en masse de l’huile de palme ne permettra au final qu’une baisse de prix pour les produits alimentaires malsains de Nestlé & co, qu’ils pourront plus facilement vendre et ainsi augmenter encore plus leurs marges (et encore, il est très probable que la baisse de prix n’aura pas lieu).
Un accord contre notre planète
Contre les 99% en Indonésie, contre les 99% en Suisse, mais surtout contre la planète, et donc contre les 99% au niveau mondial ! Cet accord encouragera la production d’huile de palme. Celle-ci n’augmentera qu’à travers des déforestations supplémentaires d’une des plus grandes forêts tropicales humides au monde. Il est prouvé que les déforestations, dont celles en Indonésie, sont responsables à hauteur de 20% de la totalité des émissions de gaz à effet de serre. Les monocultures d’huile de palme assèchent les terrains, répandent des engrais chimiques, et menacent très sérieusement la survie de la biodiversité ainsi que de nombreuses espèces (dont l’Orang-Outan).
Disons NON avant qu’il ne soit trop tard
Scandales sociaux et environnementaux, la Suisse s’est ridiculisée en signant cet accord, et ne montrera un visage cupide et cynique en cas de ratification. Bien au courant de ces quelques difficultés, pour la première fois, l’accord comprend quelques clauses de respect de l’environnement et pour les droits humains. Mais l’absence totale de sanctions ou d’instance de règlements des différends, ainsi que l’incohérence que représentent ces parties vis-à-vis du reste du texte, tout porte à croire que ce n’est que de la poudre aux yeux.
Pour le bien commun, ce référendum doit aboutir puis gagner en votation populaire, surtout qu’il précède celui avec le Mercosur (marché commun de l’Amérique du Sud) actuellement en discussion aux chambres. Il faut enfin se lever face à ces dictatures des multinationales, et 2020 semble être l’année pour cela. Il n’est pas simplement question de ne pas faire d’accord de libre-échange les yeux fermés avec un Bolsonaro, ou toute énergumène de ce genre. Il est question de mettre fin à une économie mondialisée absurde où les profits d’une minorité passent devant les besoins de notre planète et d’une majorité de la population.
Lien vers le matériel de campagne
Bertil Munk
Secrétaire international