Résolution approuvée lors de l’Assemblée des délégué·e·s de la JS Suisse du 22 avril 2023 à Saint-Gall (SG)
Les mots avec un astérix sont expliqués à la fin de cette résolution dans le glossaire des retraites.
Depuis le refus de la réforme PV2020 par la population, le Conseil fédéral, soutenu par un Parlement à majorité bourgeoise, est revenu régulièrement à la charge avec les mêmes mesures de régression sociale contenues par PV2020, mais dans des paquets séparés. Appuyé·es par une majorité des médias, les bourgeois·es sous la coupole fédérale ont redoublé d’effort pour faire peur à la population sur l’avenir de leurs retraites. Ainsi, l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes a été accepté dans les urnes en octobre 2022, notamment à cause d’une prédominance du OUI d’hommes aisés et sur la promesse (non-tenue) que les femmes seraient avantagées par l’actuelle réforme du 2e pilier (loi sur la prévoyance vieillesse, LPP). Alors que les cotisations salariales versées aux caisses de pension ont augmenté de 10% dans la dernière décennie, les taux de conversion*1 n’ont fait que baisser. Les rentes réelles*, en tenant compte de l’inflation, ont également baissé : par exemple, les nouvelles rentes médianes touchées par les hommes en 2021 étaient de 8,5% plus basses (230 CHF/mois) qu’en 20152.
1) LPP21 : un affront de plus aux femmes et aux personnes travailleuses
La dernière réforme de la LPP, adoptée par le Parlement en mars 2023, s’insère dans le même contexte d’attaques aux droits sociaux des femmes et personnes aux moyens et bas revenus. Ignorant le compromis social qui avait été développé par les partenaires sociaux depuis le refus de PV2020 dans les urnes, la droite bourgeoise a fait aboutir une réforme du 2e pilier prévoyant d’augmenter les cotisations sociales tout en baissant les rentes LPP.
a) Baisse du taux de conversion et donc des rentes
Le taux de conversion* de l’ensemble de l’argent épargné pendant la vie active en rentes LPP sera baissé de 6,8% à 6%. Des mesures de compensation sont prévues pour la génération transitoire, soit les personnes qui prendront leur retraite dans les 15 ans suivant l’introduction de la réforme, mais seul un quart des hommes et moins de la moitié des femmes de cette génération y auront droit à cause de conditions d’accès strictes. En outre, les personnes n’entrant juste pas dans cette génération et ayant un revenu supérieur à 4500 francs verront leur rente baisser jusqu’à 15%. Il est aussi certain que les jeunes personnes, comme nous, qui commencent aujourd’hui à cotiser dans le 2e pilier bénéficieront de prestations plus mauvaises que celles de nos aîné·es.
La baisse du taux de conversion* est justifiée par l’augmentation de l’espérance de vie de la population. Non seulement cet argument ignore l’augmentation de la productivité du travail*, qui fait grossir la masse salariale*, mais il ignore également les différences d’espérances de vie selon les secteurs d’activité et les salaires. Ainsi, une personne travaillant dans les branches du bâtiment ou de la santé ne vit pas aussi longtemps qu’une personne universitaire car elle est plus exposée aux accidents et a des conditions de vie moins confortables3. Cela signifie que les personnes qui travaillent dans des secteurs moins payés, en particulier les femmes et les personnes d’origine migrante4, ne touchent même pas l’entier de leur capital vieillesse épargné, qui reste dans les caisses des assurances et alimentent leurs profits, alors qu’elles subissent une baisse de leur rente.
En outre, les personnes touchant un revenu de plus 150’000 francs ne seront pas soumises au financement des mesures transitoires, alors même qu’elles ne sont plus soumises au pour-cent de solidarité dans l’assurance-chômage depuis cette année. Cela est particulièrement scandaleux car c’est exactement la catégorie de la population qui souffre le moins de l’inflation et qui a le plus grand capital vieillesse.
b) Baisse du seuil minimal de cotisation et donc hausse des cotisations
Le montant minimum de cotisation (seuil d’entrée LPP)*, aujourd’hui fixé à 22’050 francs, sera abaissé à 19’845 francs. Cela signifie que 70’000 personnes seront nouvellement assurées par la LPP, et que 30’000 seront mieux assurées. Mais les rentes réelles* de ces personnes, qui travaillent à taux partiels et à très bas salaires, ne s’amélioreront au mieux que dans plusieurs décennies, et seulement si l’inflation* reste basse. En effet, le 2e pilier ne compense pas l’augmentation des prix. Cela signifie que les rentes réelles* n’augmentent pas en cas d’inflation*, alors que le revirement des taux d’intérêt depuis 2022 fait grandir l’avoir des plus riches, souvent investi par les caisses de pension* dans des industries polluantes comme le ciment ou l’armement.
L’effet positif d’une meilleure couverture sera dans l’immédiat majoritairement annulé par la baisse des rentes. Il est donc très probable que les personnes concernées restent dépendantes des prestations complémentaires une fois à la retraite afin de pouvoir (sur-)vivre. Les réformes passées du 2e pilier ont également montré qu’une baisse simultanée du taux de conversion LPP* et du seuil d’accès* ont pour conséquence une diminution du revenu global net sur toute une vie pour les personnes aux bas salaires5 : leurs salaires baissent à cause de nouvelles cotisations, sans que leur situation s’améliore à la retraite.
c) LPP, les femmes en PLS
Dans le cadre de la campagne sur la réforme AVS21, la droite bourgeoise avait promis de compenser les pertes pour les femmes6 et les bas revenus dans le cadre de la réforme de la LPP. Mais une fois de plus, il a été prouvé qu’on ne peut pas faire confiance aux bourgeois·es. Alors que la moitié des femmes gagnent moins de 4500.- par mois, qu’un écart salarial de 18% subsiste, qu’elles sont sur-représentées dans les domaines à bas salaires et que 250’000 femmes souffrent de sous-emploi en Suisse, le Parlement n’a pris aucune mesure immédiate pour que les conditions matérielles des femmes s’améliorent à la retraite. Pire : étant donné que les personnes aux bas et moyens revenus vont le plus souffrir de cette réforme, elles subiront la hausse des cotisations LPP et la baisse des rentes de plein fouet.
Nous ne voulons donc pas de cette réforme du 2e pilier sur le dos des femmes et des bas et moyens revenus. Il reste qu’une solution : le soutien du référendum contre cette réforme sexiste et antisociale et son refus en votation populaire, et la mobilisation dans la rue !
2) Solidarité avec les grévistes en France
Aujourd’hui en France, la population s’organise également contre une réforme des retraites injuste. Cette réforme vise principalement à repousser l’âge de retraite de 62 ans à 64 ans d’ici 2030, mais obligerait aussi – d’ici–2027 - à travailler durant 43 ans (ou 43 annuités*) pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein et mettrait fin aux régimes dits « spéciaux », qui sont des meilleurs régimes de retraite dans certaines branches, obtenus grâce à des luttes sociales. Cette réforme est profondément injuste, en particulier dans un contexte où l’inflation* atteint les 7% (et même 12% pour l’alimentation !) alors que les salaires stagnent. Elle toucherait tout particulièrement les personnes précarisées et les femmes. Ainsi, en France, les femmes touchent déjà des pensions directes 40% plus basses que les hommes, et la prise en compte de l’ensemble de la carrière et non plus des « meilleures années » pour la détermination du montant de la retraite les impacterait beaucoup. Quant aux personnes précarisées, 25% des hommes les plus pauvres décèdent avant 62 ans et ne touchent déjà pas de retraite aujourd’hui. En portant l’âge de retraite à 64 ans, ce seraient près de 30% des hommes les plus pauvres qui ne verraient jamais leur retraite.
Dès janvier, de nombreuses grèves et manifestations ont été organisées contre cette réforme. En l’absence d’une majorité favorable au projet à l’Assemblée nationale, le gouvernement a eu recours à l’article 49.3 de la Constitution française, lui permettant de faire adopter une loi sans vote de l’Assemblée nationale. Suite à cette décision honteuse, les manifestations et grèves ont repris de plus belle. Nous nous solidarisons avec les grévistes en France ! Non à la réforme des retraites française !
3) Notre vision pour un système des retraites : une caisse de pension populaire !
Nous voulons un système de retraites qui lutte contre la reproduction des inégalités socio-économiques une fois âgé·e. Le financement des retraites doit être déterminé par la solidarité et non pas par les privilèges de classe, de genre ou de couleur de peau. Ainsi, nous rejetons le principe d’un système de retraites par capitalisation*, où les personnes les plus privilégiées peuvent épargner pour leur poire et tant pis pour les personnes qui ne le peuvent pas. Il est grand temps que les plus riches contribuent enfin à la hauteur de leurs moyens pour les besoins de l’ensemble de la société. Tout le monde mérite une belle vie à la retraite, et il est de notre responsabilité de lutter pour le garantir. Ainsi, la JS Suisse revendique :
À court terme :
- La soumission des revenus du capital aux cotisations sociales.
- L’introduction d’une rente minimale à 5'000 francs pour toutes les personnes.
- L’introduction d’un salaire minimum national à 5'000.- afin de stabiliser le financement du 1e et 2e piliers.
- La réintroduction du pourcent de solidarité des hauts revenus à l’assurance chômage afin de compenser l’augmentation du chômage des aîné·es provoquée par l’augmentation de l’âge de la retraite.
À moyen terme :
- La suppression du 2e pilier et l’introduction d’un système de retraites populaires par répartition* (et non capitalisation).
- La diminution de l’âge de retraite idéal à 60 ans pour permettre de répartir les gains de productivité sur l’ensemble du temps de travail.
Glossaire des retraites
Taux de conversion : le taux de conversion LPP est un pourcentage qui permet de convertir l’avoir de vieillesse épargné pendant sa vie active en une rente de retraite annuelle. Ce taux se monte actuellement à 6,8%. Par exemple, si une personne a épargné 100'000.- pour le 2e pilier, alors elle recevra 6800.- par année. Ce taux est un minimum légal et n’évolue pas au cours de la retraite.
Déduction de coordination : la déduction de coordination sert à déterminer le montant du salaire sur lequel s’appliquent les taux de cotisation au 2e pilier, ou autrement dit, le salaire coordonné. Son but est de coordonner les cotisations AVS et LPP : au salaire brut, on enlève d’abord les cotisations AVS, puis les cotisations LPP. La déduction de coordination s’élève actuellement à 25'725 CHF. Il existe un salaire minimum coordonné de 3'675.- CHF et maximum de 62'475 CHF. Par exemple, si une personne a un salaire annuel de 30'000 CHF, les taux de cotisation salariale s’appliquent sur le montant de 4275 CHF (=30’000- 25'725).
Seuil d'entrée LPP : pour pouvoir avoir le droit de cotiser au 2e pilier, il faut avoir au minimum un salaire de Fr. 22'050.-.
Rentes réelles : les rentes (AVS ou LPP) auxquelles on a déduit l’effet de l’inflation.
Masse salariale : somme des rémunérations brutes versées aux personnes salariées, sans les cotisations patronales.
Caisses de pension : institution de prévoyance qui s'occupe de gérer le 2ème pilier de ses assuré·es.
Caisses de compensation : organes exécutifs de l'assurance-vieillesse et survivants (AVS). Elles qui encaissent les cotisations et versent les prestations d'assurance.
Annuités : Une annuité correspond à 4 trimestres d’assurance vieillesse. Cette mesure est utilisée en France par les caisses de retraite pour calculer le montant des rentes.
Retraite par capitalisation : système individuel où une personne a mis de l’argent de côté durant toute sa vie active pour en bénéficier à la fin de sa vie.
Retraite par répartition : système collectif et solidaire où les personnes actives cotisent pour les retraité·es du moment, avec l’assurance de profiter du même système une fois à la retraite.
Productivité du travail : le rapport entre la quantité ou la valeur ajoutée de la production et le nombre d'heures nécessaires pour la réaliser. La productivité du travail a grandement augmenté lors des dernières décennies grâce au progrès technique : cela veut dire qu’une personne peut produire plus et en moins de temps. Cela a comme conséquence une augmentation de la pénibilité du travail.
Inflation : augmentation durable, générale, et auto-entretenue des prix des biens et des services. Elle est mesurée à partir de l’indice des prix à la consommation
[1] https://finpension.ch/fr/glossaire/taux-de-conversion/
[2] https://www.uss.ch/fileadmin/user_upload/Dokumente/Medienkonferenzen/2018-06-04_Altersvorsorge/180604_MK_AV_SGB-TS_Lampart_F.pdf
[3] Étude de Caritas, « les pauvres vivent moins longtemps », 2002 (https://www.presseportal.ch/fr/pm/100000088/100022029)
[4] https://www.swissinfo.ch/fre/economie/emploi-et-migration_les-%C3%A9trangers-sont-de-moins-en-moins-les-petites-mains-des-suisses/43479772
[5] USS
[6] Nous parlons ici strictement de femmes car toutes les statistiques existantes sur les retraites sont malheureusement encore binaires.