Considérons les intérêts des animaux

16.11.2021

Résolution acceptée par l'Assemblée des délégué·e·s de la JS Suisse du 14 novembre 2021, à Sissach (BL)

Aux alentours de 2022-2023 nous voterons sur l’initiative « Non à l’élevage intensif en Suisse »[i]. Elle fait notamment écho à des réflexions citoyennes sur la place à accorder aux animaux dans notre société. Celles-ci tournent majoritairement autour des questions : Les animaux ont-ils des intérêts ? Puis, si oui, quels sont-ils et faut-il les considérer ? C’est ce que nous tâcherons de comprendre ici.

Qui possède des intérêts ? Pour avoir des intérêts, des préférences, il est nécessaire d’avoir certaines capacités : celle de ressentir la douleur ou le plaisir, ainsi que celle de porter un regard subjectif sur le monde. Cet ensemble de capacités peuvent être regroupées sous le terme « sentience[ii] ». Dès lors, si un individu est sentient ce qui lui arrive ne lui est pas égal, il préfèrera, par exemple, le plaisir à la souffrance. Alors, qu’au contraire, s’il en est dépourvu, il ne fait pas sens de parler de ses intérêts puisqu’il sera absolument indifférent à ce qu’on pourrait (lui) faire, tel un objet. Il se trouve que les animaux, humains comme non humains, sont sentients[iii].

Il est donc justifié de parler de leurs intérêts. Mais quels sont-ils ? Tous les individus sentients partagent certains intérêts communs, comme ceux de vivre et de ne pas souffrir. Cependant, en fonction de leurs différences, ils en ont d’autres spécifiques : un adulte aura peut-être un intérêt au droit de vote, contrairement à un bébé ou à un animal, par exemple. Tandis qu’un poisson aura intérêt à vivre dans l’eau, ce qui n’est pas le cas pour nous, humain·es.

Ainsi, pour modifier l’élevage « dans l’intérêt de l’animal[iv] », il paraît logique de repenser nos relations avec les autres animaux, qu’elles ne se fondent plus sur l’exploitation, mais sur une coexistence davantage respectueuse de leurs intérêts à vivre et à ne pas souffrir.

Toutefois, certain·es humain·es pourraient argumenter que leur supériorité ou que certaines de leurs capacités (raison, intelligence, conscience, liberté, etc.) justifient la primauté de leurs intérêts (même mineurs) sur les intérêts fondamentaux des autres animaux. Iels légitimeraient ainsi la non-considération ou la considération partielle des intérêts des animaux.

Nous affirmons, au contraire, que ces prétendues caractéristiques supérieures attribuées à l’humain (et, pour certaines, refusées aux animaux non humains[v]), qu’elles soient « réelles ou imaginaires », sont « toujours dépourvues de lien logique avec ce qu’elles sont censées justifier[vi] ». Pour le montrer, il suffit de prendre l’exemple d’un bébé ou d’une personne avec un faible QI. Nous permettrions nous, dans leur cas, de leur réserver le même traitement qu’à nos animaux d’élevage sur le simple critère, qui plus est très flou, de « l’intelligence » (ou de la raison, du langage, etc.) ? Absolument pas, parce que nous savons que leurs capacités cognitives (parfois restreintes) ne justifient en rien l’absence d’égard pour leurs intérêts fondamentaux. Celles-là sont non pertinentes s’agissant de déterminer leur droit à une considération morale. Notre réponse doit être la même dans le cas des animaux non-humains sentients, pour qui, au vu de cet exemple, la considération des intérêts à vivre et à ne pas souffrir devient indéniable, peu importe leurs capacités cognitives. Autrement dit, pour savoir si les animaux possèdent des intérêts fondamentaux, « la question n'est pas : "peuvent-ils raisonner ?", ni "peuvent-ils parler ?", mais "peuvent-ils souffrir ?"[vii] ».

En résumé, les animaux, humains comme non humains, ont des intérêts du fait de leur sentience. Ces derniers sont fondamentaux pour certains (vivre, ne pas souffrir, etc.) et spécifiques (varient en fonction des individus) pour d’autres. Enfin, nous nous devons de les considérer pour des raisons éthiques évidentes.

Conséquemment, nous revendiquons :

  • La prise en compte sérieuse des intérêts des animaux sentients affectés par les décisions que nous prenons (en matière de construction, d’industrie, d’agriculture, d’énergie, de transports, etc.).
  • La suppression de certaines pratiques bafouant clairement les intérêts des animaux sentients : l’interdiction de l’importation de foie gras (la production étant déjà interdite en Suisse)[viii], du gazage des poussins mâles, de l’élevage intensif, de l’exploitation d’animaux dans les cirques, des zoos, de l’importation de fourrure, de la vente de cosmétiques ou produits ménagers testés sur les animaux.

[i] « Initiative contre l’élevage intensif – Initiative », Initiative contre l’élevage intensif, consulté le 20 juin 2021, https://elevage-intensif.ch/initiative/.

[ii] Éditions Larousse, « Définitions : sentience - Dictionnaire de français Larousse », consulté le 20 octobre 2021, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sentience/188305.

[iii] « Déclaration de Cambridge sur la conscience », Les Cahiers antispécistes, consulté le 20 juin 2021, https://www.cahiers-antispecistes.org/declaration-de-cambridge-sur-la-conscience/. (A noter que la plupart des animaux sont sentients, mais certains comme les méduses, les moules ou les huîtres ne le sont probablement pas.)

[iv] « Solidaire et socialiste : pour l’agriculture de demain ! », JS Suisse, consulté le 21 juin 2021, https://juso.ch/fr/publications/positions/solidaire-et-socialiste-pour-lagriculture-de-demain/. (Dans la partie « Effets de l’agriculture sur le climat et l’environnement »)

[v] Il n’y a pas de « propre de l’Homme » : « La pensée abstraite, la conscience de soi et la capacité à communiquer en utilisant un langage symbolique, apparaissent de manière largement répandue dans le règne animal » (Cédric Stolz, De l’humanisme à l’antispécisme : Le XXIe siècle est celui des animaux. Nice : Les Editions Ovadia, 2019. P.74). Et « on a le plus grand mal à trouver un caractère qui soit à la fois exclusivement humain et présent chez tous les humains » (Yves Bonnardel, « En finir avec l’idée de nature, renouer avec l’éthique et la politique ». Les Temps Modernes n° 630-631, no 2 (2005) : 107‐21. P.116)

[vi] « Le spécisme », Les Cahiers antispécistes, consulté le 4 mars 2021, https://www.cahiers-antispecistes.org/le-specisme/.

[vii] Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, 1789.

[viii] « Accueil | Stop Gavage Suisse », stop-gavage-suisse, consulté le 27 février 2021, https://www.stopgavagesuisse.ch.