Élections législatives françaises : les limites du mirage démocratique

21.10.2024

Élections législatives françaises : les limites du mirage démocratique

Résolution adoptée lors de l'assemblée des délégué-e-s de la JS Suisse du 28 septembre 2024 à Giubiasco (TI)


Après la victoire du Nouveau front populaire aux élections législatives françaises 2024, la politique institutionnelle française est à la croisée des chemins. L’apparent front républicain qui a permis de balayer le Front national au second tour des élections législative s’est rapidement effondré, et le nouveau premier ministre est plus à droite que le précédent gouvernement. Cette résolution revient sur les législatives françaises de 2024, et les leçons à en tirer.

Depuis les élections de 2022, le parti du Président détenait une majorité relative au parlement, et gouvernait en ayant régulièrement recours au 49.3[1]. Le 9 juin 2024, au soir des élections européennes, marquées en France par l’arrivée en tête de l’extrême-droite, le président français Emmanuel Macron a annoncé la dissolution du parlement, provoquant de nouvelles élections législatives. Le premier tour des législatives s’est tenu le 30 juin, trois semaines après l’annonce de la dissolution.

Pour ces élections éclair, une large alliance de gauche s’est rapidement mise en place, sous le nom de Nouveau front populaire (NFP). Le NFP rassemblait notamment Europe écologie les verts, la France Insoumise, le Parti communiste français, et le Parti socialiste, rejoint notamment par le Nouveau parti anticapitaliste de Philippe Poutou et Olivier Besancenot.

Le NFP s’est présenté avec un programme qualifié de « programme de rupture ». Ce programme, loin d’être anticapitaliste, comportait cependant des mesures progressistes comme la revalorisation à 1600 euros du salaire minimum et la diminution du temps de travail.

La campagne du NFP a été accompagnée d’une mobilisation massive des milieux syndicaux, associatifs et de la population, y compris de la gauche suisse.[2]

Suite au premier tour des législatives, le NFP a appelé à un « barrage républicain », soit au retrait des candidat·es NFP arrivé·es en troisième place contre l’extrême droite et un·e autre candidat·e de droite. Ce « barrage républicain » a été nettement plus suivi par la gauche que par la droite.[3] En particulier, les candidat·es macronistes ont plusieurs fois refusé de se désister face à des insoumis·es, dans la ligne de la stratégie de diabolisation de LFI conduite par Macron. Le retrait de candidat·es NFP a permis à plusieurs macronistes de gagner leur circonscription et d’accéder à la députation.[4]

À l’issue du second tour, le NFP a obtenu un score historique, se positionnant comme premier parti de France, sans pour autant obtenir la majorité absolue. Cette majorité n’a pour autant pas abouti à un renversement du pouvoir. Emmanuel Macron a nommé le 5 septembre un premier ministre issu des Républicains, un parti proche de l’extrême droite et en extrême minorité au parlement.

Malgré l’engouement qu’il a suscité, le NFP s’est donc pour l’instant montré incapable de changer les réalités de vie de la classe ouvrière. Cela tient à deux raisons principales : l’inféodation à la classe bourgeoise d’au moins une partie de ses composantes, et les limitations d’une politique de gauche au sein des institutions bourgeoises.

Le premier obstacle à une vraie réussite politique du NFP est sa composition. Si la France insoumise, qui n’a jamais gouverné, n’a jamais eu l’occasion de trahir la classe ouvrière, ce n’est pas le cas de ses alliés au sein du NFP. Le Parti socialiste français a, chaque fois qu’il a été au pouvoir, participé à la détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière, et ce faisant à la montée en puissance de l’extrême droite. La présidence de François Hollande, investi par le NFP comme candidat dans la 1ère circonscription de Corrèze, a été marquée par la loi Travail, qui démantelait les protections sur les horaires de travail.

Les trahisons du programme du NFP par l’aile droite de l’alliance n’ont pas non plus attendu que celle-ci rentre au gouvernement. Le président du PS français, Olivier Faure, a laissé entendre être prêt à remettre en question ce programme.[5]

De plus, pour être capable de gouverner sans majorité absolue, le NFP aurait dépendu du soutien de la majorité présidentielle. Cette majorité, à qui le NFP a permis de réaliser son score électoral par le retrait de candidat·es, est clairement hostile à toute collaboration avec une gauche combative. Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a ainsi invité le PS a se désolidariser du NFP pour gouverner en coalition avec le parti présidentiel.[6]

La bourgeoisie ne défend la démocratie qu’aussi longtemps que ses institutions lui garantissent le contrôle du pouvoir. Le glissement vers le fascisme des forces de la droite « républicaine » est tout à fait apparent. Un de ces exemples récent en France est le fractionnement des Républicains autour du ralliement d’Eric Ciotti au FN.

En tant que révolutionnaires, nous devons tirer des leçons de la situation française. La compromission avec les politiques bourgeois·es, même celles et ceux se prétendant de gauche, ne conduit qu’à l’immobilisme et, à terme, à la péjoration des conditions de vie de la classe ouvrière et à la montée du fascisme.

Mais la réalité française peut aussi nous donner de l’espoir. Le NFP a su construire une large mobilisation grâce à un programme « de rupture » et à une large collaboration d’actrice·teurs de gauche (syndicats, monde associatif, milieux féministes, climatiques et LGBTI+, etc.), y compris dans des couches de la classe ouvrière historiquement peu engagées politiquement. La confiance de la classe ouvrière est trop précieuse pour être trahie. Il reste maintenant à exploiter cette force de mobilisation, car le socialisme ne s’obtiendra pas avec les outils de la bourgeoisie.

C’est pourquoi nous nous engageons :

  • Pour la fin des alliances « républicaines » qui ouvrent les portes du pouvoir à des politicien·nes bourgeois·es et à la casse sociale ;
  • Contre toute alliance électoraliste avec des forces ayant gouverné avec une politique antisociale ;
  • Pour l’alliance des forces de gauche autour d’un programme de rupture.

[1]L’article 49 alinéa 3 de la constitution française permet au gouvernement de faire adopter un texte de loi sans majorité au parlement, avec un vote de confiance.

[2]https://www.rts.ch/info/suisse/2024/article/la-gauche-suisse-unie-dans-le-soutien-au-nouveau-front-populaire-francais-28551412.html

[3]https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/07/02/legislatives-2024-pour-faire-barrage-au-rn-195-candidats-et-candidates-se-sont-deja-desistes-suivez-le-decompte-en-temps-reel_6245837_4355771.html

[4]Par exemple Elisabeth Borne, ancienne première ministre de Macron et responsable de la réforme des retraites.

[5]https://www.revolutionpermanente.fr/Risque-de-discours-maximaliste-Olivier-Faure-prepare-deja-la-liquidation-du-programme-du-NFP

[6]https://www.rtl.fr/actu/politique/invite-rtl-legislatives-nous-pourrions-travailler-avec-le-ps-en-cas-de-rupture-avec-lfi-assure-darmanin-7900402519