La Règle du délai a un délai d’expiration !

22.10.2024

La règle du délai a un délai d’expiration !

Résolution adoptée lors de l'assemblée des délégué-e-s de la JS Suisse du 28 septembre 2024 à Giubiasco (TI)


À date du Safe Abortion Day 2024, le code pénal suisse interdit toujours l'avortement. La loi ne prévoit que des exceptions : il est possible d’avorter jusqu'à la 12e semaine de grossesse, après avoir fait valoir par écrit une situation de détresse. Les avortements ne peuvent être pratiqués que s'il existe un danger psychique ou physique pour la santé de la personne enceinte. Cette « règle du délai » a été adoptée par les votant·es en 2002 et est encore en vigueur aujourd’hui[1]. La Suisse dispose ainsi d’une des lois sur l’avortement les plus restrictives d’Europe et va à l’encontre des lignes directrices de l’OMS[2]. Toutes les tentatives de changer cet état de fait jusqu’ici n’ont amené à rien. Dernièrement, le Conseil national n’a pas donné suite à une initiative parlementaire visant à supprimer du code pénal l’article 118 alinéa 1 relatif à l’avortement[3].

Cela n’est pas surprenant, car la régulation de la reproduction est un outil important du maintien du pouvoir de l’État capitaliste patriarcal. Le système capitaliste exploite et renforce l’oppression des femmes, le contrôle des corps féminins étant depuis longtemps un instrument central de pouvoir. Sous la modernité capitaliste, les États recourent au contrôle de la reproduction biologique et sociale et font ainsi des personnes capables de procréer une « ressource biopolitique »[4]. Hier comme aujourd’hui, les États instituent divers moyens pour la régulation de la reproduction, de la stérilisation forcée aux programmes de contrôle des naissances jusqu’à des lois restrictives sur l’avortement. De telles mesures appartiennent souvent à une stratégie politique de contrôle de la population visant soit à augmenter soit à baisser le taux de naissances, à contrôler certains groupes de population ou à mettre en place des normes conçues[5]. Le contrôle des corps féminins ne sert donc pas uniquement au maintien des structures patriarcales, mais également à la stabilisation des rapports de pouvoir au sein d’un système capitaliste et impérialiste. Les droits reproductifs sont cruciaux lorsqu’il s’agit de mettre fin aux structures d’oppression.

Depuis des décennies déjà, des féministes se battent pour ces droits et ont pu obtenir plusieurs victoires en la matière. Il nous revient donc de continuer à développer à partir de celles-ci, tout en luttant pour éviter de nouveaux reculs sur les droits existants. La droite conservatrice, dont les fondamentalistes chrétiens, font tout pour réduire les droits à l’avortement. Jusqu’ici, nous sommes parvenu·es à repousser chacune de leurs attaques avec succès[6]. C’est au moins clair à présent : ces forces réactionnaires sont une minorité bruyante et la majorité de la population suisse souhaite regarder vers l’avant, pas vers l’arrière.

Garantir les droits reproductifs !

En conséquence, nous devons enfin pouvoir garantir un accès facile et pleinement sûr à l’avortement ; il doit non seulement être entièrement déstigmatisé, mais les droits en la matière doivent aussi être pleinement ouverts et garantis, par exemple par la suppression complète de la règle du délai. Nous adhérons au concept de « justice reproductive », développé dans les années 90 par des féministes noir·es aux États-Unis. Les personnes capables de procréer devraient avoir aussi bien le droit de n’avoir aucun enfant que d’en avoir[7].

En ce qui concerne le droit à l'avortement proprement dit, nous demandons notamment :

  • La suppression du délai de douze semaines

Au Canada, l’avortement est entièrement décriminalisé depuis 1988 déjà. Il n’est plus restreint ni par des régulations, ni par des délais, ni par quelconque autre limite légale. L’intervention est traitée pour ce qu’elle est : une intervention médicale normale[8]. L’abrogation de toutes ces législations n’a pas entraîné en conséquence d’avortements plus nombreux ou plus tardifs[9]. En Suisse aussi, la règle du délai doit être abolie et les avortements possible à tout moment dans le temps.

  • La suppression de l’article 118 alinéa 1 du Code pénal

L'avortement, comme toute autre intervention médicale, n'a rien à faire dans le code pénal. En conséquence, l’article 118 alinéa 1 du Code pénal doit enfin être supprimé.

  • Aucune régulation légale d’aucune sorte

L’avortement ne doit être régulé d’aucune manière et la décision ne doit en être soumise à aucune condition. Cela signifie aussi par exemple qu’il ne doit y avoir aucun entretien de conseil obligatoire.

  • Des offres de conseil financées par l’État et sur base volontaire

Dans le même temps, des offres de conseil plus neutres et financées par l’État doivent être proposées, afin que les « offres de conseil » d’organisations fondamentalistes chrétiennes n’apparaissent pas neutres et doivent être déclarées en conséquence.

  • Inscription du droit à l’avortement dans la Constitution

Comme en France, le droit à l’avortement doit être inscrit dans la Constitution. Cette étape constituera un renforcement du droit à l’autodétermination.


[1] Gaillard, Ursula : Abtreibung, in : Historisches Lexikon der Schweiz (HLS), V. 13/10/2011, https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/007977/2011-10-13/

[2] Turuban, Pauline : Das Recht auf Abtreibung. Wo steht die Schweiz? In : swissinfo.ch, 01/07/2022, https://www.swissinfo.ch/ger/gesellschaft/recht-auf-abtreibung-wo-steht-die-schweiz/47719888

[3] https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20220432

[4] Michel Foucault (1977) : Surveiller et punir : Naissance de la prison.

[5] Dorothy Roberts (1997) : Killing the Black Body: Race, Reproduction, and the Meaning of Liberty.

[6] Hann, Vanessa: So unantastbar ist das Abtreibungsgesetz in der Schwein, in : Watson online (01/06/2022), https://www.watson.ch/schweiz/gleichstellung/979672431-so-unantastbar-ist-das-abtreibungsgesetz-in-der-schweiz

[7] Brentler, Alexander et Zimmermann, Vanessa : Jenny Brown, «Es geht nicht nur um Abtreibungen sondern um unser ganzes Leben», in : Jacobin (24/07/2022), https://jacobin.de/artikel/es-geht-nicht-nur-um-abtreibung-es-geht-um-unser-gesamtes-leben-jenny-brown-supreme-court-oberster-gerichtshof-roe-v-wade-reproduktive-rechte-samuel-alito

[8] Diehl, Sarah : Vertraut den Frauen, in : Zeit Online, 10 nach 8 (28/09/2018), https://www.zeit.de/kultur/2018-09/schwangerschaftsabbruch-paragraf-218-moral-patriarchat-abschaffung/komplettansicht.

[9] https://www.arcc-cdac.ca/media/2020/07/statistics-abortion-in-canada.pdf