Prise de position de la JS Suisse adoptée lors de l’assemblée annuelles du 18 et 19 févirer 2023 (Berne)
Le racisme est un mécanisme très profondément enraciné dans la soiciété Suisse, et en même temps l'objet d'un déni collectif. Le racisme est souvent clairement identifiable, comme par exemple dans le cadre des typiques campagnes UDC, récurrentes depuis les années 90 [1]. Mais le racisme n'est pas la propriété exclusive de l'UDC : il se retrouve sous diverses formes partout dans la société, y compris dans des structures de gauche. Il faut en effet rester conscient·e que ce sont les syndicats et la social-démocratie elle-même qui ont longuement alimenté le discours d'inspiration raciste de l’« Überfremdung » (surpopulation étrangère) [2], [3]. Aujourd'hui encore, de nombreuses personnes à gauche rechignent à travailler sur ce passé et à s'impliquer réellement dans la lutte antiraciste [1], [4]. Dans de nombreux secteurs de la société, cette lutte n'en est encore qu'à ses débuts. Jusqu'à présent, la résistance contre la suprématie blanche dépend encore des personnes touchées par le racisme, tandis qu'elle est occultée par l'essentiel de la société blanche.
Au cours des dernières années, des luttes antiracistes très visibles ont gagné en portée, notamment grâce au mouvement « Black Lives Matter » (BLM) récemment apparu aux États-Unis. Comme toujours, il n'est pas allé sans une contre-offensive réactionnaire. La résistance antiraciste est devenue particulièrement visible au cours des manifestations de l'été 2020, dans le cadre des manifestations à travers le monde suite à l'assassinat policier de Georges Floyd dans l'État américain du Minnesota. La large mobilisation pour ces manifestations n'a pas été déclenchée par les actrice·teurs de gauche habituel·les, mais d'abord par des personnes racisées concernées par le racisme, qui ont ainsi créé une présence inhabituelle en Suisse [5], [6].
Il faut signifier clairement qu'il n'y a pas un antiracisme, pas plus qu'il n'y a un racisme. Ce papier de position tient compte de cette réalité. L'antiracisme est plutôt la somme des luttes, parfois séparées, de personnes discriminées en raison de différentes formes de racialisation. On trouve parmi les différentes (liste non exhaustive) formes de racisme les discriminations sur la base de la couleur de peau d'une part, mais aussi l'antisémitisme, le racisme anti-rom et d'autres discriminations sur la base de stéréotypes géographiques ou culturels fictifs d’autre part. En raison de l'étendue de la thématique et de la complexité des différentes luttes antiracistes, il faut retenir que ce papier ne peut présenter qu'une image incomplète de ces luttes. C'est notamment le cas de l'antisémitisme, dont les origines historiques complexes et les conséquences devraient bénéficier à l'avenir de leur propre papier de position/résolution [7].
La création et la diffusion du système économique capitaliste n'ont été possibles qu'en lien étroit avec les structures racistes et avec leur légitimation. Le racisme est un instrument nécessaire de la classe dominante, la bourgeoisie, pour diviser la classe ouvrière. Il est nécessaire de s'y opposer avec solidarité et en usant de toutes nos ressources, sans effacer le fait qu'il existe plusieurs formes de racismes et plusieurs luttes qui sont liées et doivent être menées ensemble.
Ce n'est pas par hasard que la résistance contre le racisme anti-Noir·es n'est publiquement thématisée avec le mouvement BLM que depuis peu de temps. En effet, alors que les discriminations sur la base de la nationalité font depuis longtemps l'objet de discussions et de résistances ici en Suisse [6], [8], l'idée fausse d’une xénophobie distincte et sans lien avec le racisme est encore prédominante. C'est la conséquence d'un discours typiquement suisse, qui échoue à rapporter correctement le rôle de la Suisse dans l'histoire coloniale européenne ainsi que pendant la période du national-socialisme. La déformation des faits historiques conduit les débats antiracistes à rencontrer des résistances dans les milieux centristes bourgeois et à gauche [1], [9].
Ce papier de position doit poser des bases pour un traitement critique de la question du racisme. Il a fonction d'outil pour mener un processus possible du point de vue de la JS Suisse, mais aussi pour une analyse critique des structures internes à la gauche. Concrètement, il doit aussi étudier le rôle de la JS et d'autres forces de gauche majoritairement influencées par des personnes blanches. Ce document vise à esquisser des moyens de passer d'une société raciste à une société antiraciste.
Le racisme à la base du capitalisme
L'analyse de la situation actuelle requiert de définir nos termes. Le terme de « racisme » n'est pas simple à définir. L'important est de reconnaître qu'il n'existe pas un racisme, mais de multiples et diverses formes de racismes. Il est possible de les ranger sur un spectre en fonction des contextes historiques et des rapports de force [10, p. 52]. Toutes les formes de racisme ont une fonction oppressive. Pour définir qui sont les oppresseuse·eurs et qui sont les opprimé·es, on crée des différences fictives sur la base de justifications pseudo-biologiques et/ou pseudo-culturelles [11, p. 92].
Il convient tout d'abord de mentionner que la vision de l'évolution historique du racisme et l'examen de l'histoire qui suivent sont fortement eurocentristes et marquées par l'historiographie occidentale et blanche. L'histoire du racisme est ancienne mais le terme lui même n'existe que depuis le XXe siècle, suite à la diffusion de « théories raciales » pseudo-scientifiques [12]. On peut retracer l'émergence du racisme à l'époque moderne, lors de la «Reconquista » de la péninsule ibérique aux XIVe et XVe siècles par les chrétien·nes dominant·es. Avec la prétendue « limpieza de sangre » (« pureté de sang »), elles et ils définirent des différences pseudo‐biologiques entre chrétien·nes, juive·ifs et musulman·es, qui furent employées pour justifier l'oppression et la persécution systématique des juive·ifs et des musulman·es. Des structures et des faits racistes existaient cependant déjà précédemment. Nous les désignerons par le terme de "proto-racisme".
Par la suite, la colonisation européenne prit un élan fulgurant aux XVe et XVIe siècles. Poussées par l'avidité capitaliste, l'Espagne et le Portugal, bientôt suivis par de nombreuses autres puissances européennes, établirent des systèmes d'oppression sur d'autres continents. C'est ainsi que génocides et exploitation bénéficièrent d'une « légitimation » raciste complaisante, d'abord sous le prétexte du christianisme « civilisateur » qui missionnait les populations des continents occupés. C'est ainsi qu'a été légitimée une supériorité économique [14]. Ce processus de différenciation entre colonisé·es et colons introduisit une binarité « nous contre eux » qui continua et continue encore d'être construite sur la base de nouveaux arguments racistes [13]. Il est important de comprendre que le colonialisme et l'impérialisme ont été essentiels dans la diffusion et la systématisation des modes de production capitalistes.
Le racisme est une composante nécessaire au fonctionnement du mode de production capitaliste et à son développement global. Le capitalisme se base sur l'exploitation des êtres humains et de l'environnement en pillant le monde entier. La bourgeoisie, a alors tout intérêt à ce que les personnes oppressées n'aient pas conscience qu'elles constituent une classe dominée. Le racisme préexistant, en enfermant toute une partie de la population dans un statut “inférieur” et en faisant naître artificiellement des affects hostiles, est aussi employé comme un outil de contrôle afin de diviser la classe ouvrière et entretenir l'hégémonie bourgeoise.
La Suisse aussi a fait et fait toujours partie du réseau de relations transnationales impérialistes et colonialistes. Si l'on considère les entreprises capitalistes internationales, on peut parler d'un impérialisme bancaire et boursier suisse. Durant et après la prétendue « décolonisation », les entreprises suisses ont récupéré les activités d'anciennes puissances coloniales ou de leurs actrice·teurs. La Suisse fait, aujourd'hui encore, du commerce extérieur avec des régimes dictatoriaux ou corrompus. Aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux·ses marchand·es suisses se sont impliqué·es dans le commerce esclavagiste transnational et donc dans la déportation systématique d'habitant·es du continent africain. De plus, des Suisses ont possédé des plantations, esclavagisant des personnes sur différents continents [14], [16, S. 17].
Le racisme était indispensable à l'établissement de structures de capitalistes globales. Les tentatives de justifications pseudo-scientifiques du racisme sont directement issues de cette nécessité. Les tentatives de classifier les êtres humains selon des critères pseudo-biologiques dans ce but étaient particulièrement prédominantes en Europe aux XIXe et XXe siècle. Comme les plantes et les animaux, les êtres humains étaient alors systématiquement classifiés et hiérarchisés en « races », en créant la pseudo-science de la « doctrine raciale », qui était également proposée comme cursus dans les universités suisses. Au XXe siècle, ces concepts racistes ont été employés principalement par les nazis en Allemagne, le régime d'apartheid en Afrique du Sud et les lois « Jim Crow » aux États-Unis. À la fin du XXe siècle, le concept de « races humaines » a été clairement réfuté et proscrit par la science. Le mot « Rasse » n'est désormais plus utilisé à propos des êtres humains dans les espaces germanophones. En revanche, le terme race est employé en français et en anglais pour désigner un construit social[11].
À la suite de ce rejet sociétal et culturel, la nouvelle droite a trouvé dans le « culturalisme » (ou néo-racisme) un nouveau moyen de présenter des idées anciennes. On évoquera notamment le concept d’« ethnopluralisme », qui classe les personnes par « ethnie » et rejette la cohabitation de « groupes ethniques » ou de « cultures » différentes. Les termes sont nouveaux, l'idéologie raciste est ancienne [15, S. 37].
Le racisme, instrument de domination de la bourgeoisie suisse
Le discours raciste sur la migration
Arrivant à l'époque actuelle, de nombreux domaines méritent analyse. Le néologisme « Überfremdung » (surpopulation étrangère) joue un rôle fondamental dans les discours racistes et la division de classe en Suisse. Ce terme est employé non seulement dans le débat public, mais aussi dans des documents légaux et administratifs [16, S. 89ff]. La polysémie du terme en a fait un instrument important pour donner au racisme un vernis d'objectivité, et ce quand bien même le terme était clairement lié à des motivations racistes dès ses débuts [9]. Problématiser la « surpopulation étrangère » fait apparaître une opposition « nous contre eux », en l’occurrence les étrangère·ers. Les justifications de cette opposition ne cessent de changer. Elles vont de visions pseudo-biologiques fondant une politique raciste de supposées « différences culturelles ». Récemment, on entend l'argument de l'impossibilité de l'assimilation dans la société suisse. Quoi qu'il en soit, toutes ces variantes sont racistes, même lorsqu’elles remplacent la notion pseudo-biologique de « race » par la « culture » [1], [8]. Le racisme justifié par la « différence culturelle » est lui vu comme tout à fait acceptable par les centristes bourgeois·es [1], [3], [8].
L'occultation sociale du racisme en Suisse est largement favorisée dans la sphère germanophone par l'utilisation et le développement du concept d’« Überfremdung », mais il ne suffit évidemment pas à expliquer l'absence des questions antiracistes dans le débat public. Il faut y ajouter les mythes mentionnés plus haut quant à la (non-)participation suisse aux activités coloniales et néocoloniales. Ce phénomène est parfois désigné comme « anti- racialism » en anglais : un effacement et une négation de la racialisation et de la discrimination associée, conséquence d'une volonté d’effacer son propre passé colonial [1]. On constate un phénomène analogue concernant l'antisémitisme et le racisme antitsiganisme. Un parfait exemple en est l'absence de traitement de la participation de la Suisse aux crimes nazis après la Seconde Guerre mondiale. En Suisse aussi, les attitudes antisémites et les idées fascistes étaient et sont encore largement répandues. La Suisse a collaboré activement avec l'Allemange nazie, notamment en acceptant le marquage du passeport de juive·ifs allemand·es
du « tampon juif » et en refusant l'asile à des réfugié·es juive·ifs. Les banques suisses ont entreposé des œuvres d'art spoliées et des richesses volées par les nazis aux juives·ifs assassiné·es [7], des industriel·les suisses ont livré des baraquements au camp de concentration d'Auschwitz [17], [18]... Cette énumération pourrait se poursuivre longuement. L'effacement de faits historiques est ainsi soutenu par le récit dominant de la neutralité suisse, permettant à l'État, en tant que prétendue instance neutre dans l'histoire contemporaine mondiale, de faire oublier sa participation et donc sa responsabilité [1]. Quand bien même la bourgeoisie locale a et continue de commercer activement avec des états coloniaux et des régimes fascistes et assimilés, la Suisse officielle paraît dans les consciences garder les mains blanches.
Du statut de saisonnier au régime migratoire actuel
Pour comprendre l'origine des structures racistes en Suisse, il est pratiquement indispensable d'acquérir une vue d'ensemble de l'histoire récente de l'immigration ouvrière dont le contexte a été marqué de manière déterminante par le mode de production capitaliste. Ce n'est qu'à partir de la fin du XIXe siècle que l'immigration en Suisse a pris de l'importance. Auparavant, le pays était marqué par l'émigration, faute de perspectives économiques. Avec l'industrialisation, la demande en main-d'œuvre a augmenté [19]. Jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, c'est une liberté d'établissement de fait qui prévalait pour les travailleuse·eurs étranger·ères, puis, après sa fin, l'immigration a été pratiquement entièrement stoppée par un durcissement du régime frontalier. Les travailleuse·eurs régie·es par le statut de saisonnière·ers à partir de 1931 étaient pratiquement les seul·es autorisé·es à entrer en Suisse pour une durée limitée et à y travailler. Leur séjour était limité au maximum à une « saison » de neuf mois, sans droit au rassemblement familial. Cela a permis, en particulier après la Seconde Guerre mondiale, de stimuler la croissance économique tout en opérant une nette ségrégation entre les saisonnière·ers étrangère·ers, en majorité italien·nes, et le reste de la population. C'est dans ce cadre qu'a été menée une politique xénophobe visant à lutter contre la « surpopulation étrangère » de la Suisse [20], [21]. Cette politique est un exemple de discrimination multiple. La Suisse aurait très bien pu disposer d'une marge de manœuvre, car la demande en main-d'œuvre aurait pu être satisfaite par l'ouverture du salariat aux personnes FLINTA. Mais pour cela, il aurait fallu admettre une égalité économique croissante entre les genres, ce qui serait entré en contradiction avec les rôles genrés de la bourgeoisie dominante [16, S. 89ff]; c'est pourquoi l'exploitation des étrangère·ers offrait une situation gagnant-gagnant à la bourgeoisie suisse. La Suisse était et est toujours clairement bénéficiaire de l'exploitation des migrant·es tout en établissant dans un même temps un des régimes migratoires les plus stricts d'Europe. Malgré l'abolition du statut de saisonnère·er en 2002 avec l'introduction de la liberté de circulation des personnes par l'Union européenne, la législation en matière d'étrangère·ers se règle toujours sur le besoin de main-d'œuvre de la bourgeoisie. Pendant ce temps, la Suisse continue de mener une des politiques migratoires les plus restrictives et discriminatoires d'Europe.
D'un point de vue juridique, le système migratoire suisse est basé sur la loi sur les étrangers et l'intégration (LEI) [22], la loi sur l'asile (LAsi) [23] et les accords internationaux (Schengen/Dublin [24] et l'accord sur la libre circulation des personnes de l'UE [25]). Sur la base de ces principes, les institutions remplissent le rôle d’exécutrices d'un agenda raciste commun, élaboré par les politiques en fonction des intérêts (économiques) de la bourgeoisie. Parmi les principaux actrice·eurs institutionnels de ce système, on retrouve Frontex, le Secrétariat aux migrations (SEM), les autorités judiciaires et policières et les autorités cantonales de migration et d'asile.
L'interprétation des bases légales n'est pas uniforme, notamment en ce qui concerne les discriminations multiples plus ou moins importantes. Ainsi, le traitement des migrant·es varie largement en fonction de leur région d'origine. Ce n'est pas le résultat de l'observation de critères « objectifs » par les institutions du régime d'asile, mais celui de leur refus aux migrant·es, pour des raisons apparemment arbitraires, du droit d'être entendu·es. Derrière l'arbitraire se cache systématiquement une combinaison de stéréotypes culturels et racistes. Il s'agit notamment de stéréotypes orientalistes, islamophobes, anti-roms, néo-racistes et eurocentristes. Le traitement réservé aux réfugié·es de la guerre en Ukraine en est une illustration : le statut de réfugié·e reconnu·e (statut F) est refusé à des milliers de réfugié·es provenant d'autres territoires occupés et/ou menacés de génocides et de guerres d'agression, ainsi qu'à des personnes dont il est prouvé qu'elles sont victimes de persécutions politiques. En parallèle, une vague de solidarité envers les réfugié·es blanc·hes d'Ukraine, considéré·es comme moins « différent·es » par le discours (culturellement) raciste ambiant, a déferlé à travers la Suisse durant les premiers mois de la guerre d'agression russe. D'innombrables manifestations de solidarité dans les médias ont renforcé l'opposition discursive aux migrant·es non-blanc·hes.
Dans la plupart des décisions d'asile négatives, le SEM invoque le manque de crédibilité des personnes concernées ou des « États tiers sûrs ». Ces décisions négatives font planer la menace d'une expulsion/déportation ou d'une vie sans statut de séjour. Dans ce contexte, la Suisse s'efforce de créer les pires conditions de vie pour les requérant·es d'asile débouté·es dans des « centres de retour ». Certains de ces centres ont été sévèrement critiqués par la Commission nationale de prévention de la torture, et plusieurs personnes sont déjà mortes en Suisse dans le cadre de « détentions en vue du renvoi ». Les demandeuse·eurs d'asile débouté·es doivent en outre patienter avec un régime d'aide d'urgence indigne, tandis que l'accès au marché du travail régulier leur est totalement interdit. Si des personnes ont besoin de plus d'argent que les 240 francs par mois d'aide d'urgence, elles sont contraintes d'accepter des emplois au noir.
Nos institutions sont racistes !
Justice et police : le racisme s'exprime dans la violence
Le rôle de la police est très important dans le maintien des structures sociales racistes. Son travail repose sur des démonstrations de force et des actions disproportionnées. Dans l'exercice du travail de la police, on observe souvent des violences à l'égard de personnes touchées par le racisme. Ces problèmes ne sont pas considérés dans leur caractère systémique, et l'État et la police traitent généralement les incidents racistes comme des « cas isolés ». La police est une institution raciste, et il ne suffit pas de considérer le comportement individuel des policière·ers.
Les rapports de police documentent les arrestations violentes et les justifient souvent en accusant la personne arrêtée d’agression — accusation rarement remise en question. Le profilage racial est systématique dans les contrôles de police. Les personnes touchées par le racisme sont contrôlées en raison de leur couleur de peau et traitées de manière fondamentalement différente des personnes blanches [26].
L'appartenance à un État-nation constitue une couverture pour le racisme. Ainsi, l'ordre juridique classe les personnes en trois groupes différents : les ressortissant·es suisses, les ressortissant·es de pays de l'UE et de l'AELE, et les ressortissant·es de ce qui est appelé les « États tiers ». Les ressortissant·es de pays de l'UE et de l'AELE bénéficient du régime de libre circulation des personnes, tandis que le séjour des personnes originaires d'« États tiers » est régi par des accords bilatéraux. L'article constitutionnel qui interdit de distinguer les personnes en fonction de leur "race" n'est souvent pas respecté : Mohamed Wa Baile a refusé de montrer sa carte d'identité après que les policière·ers aient refusé de justifier pourquoi il était le seul pendulaire à être contrôlé. En Suisse, le contrôle de police a été considéré comme légal en raison de la couleur de peau de la personne. Au motif que la gare était un lieu de passage pour "l'immigration illégale". L'affaire est désormais pendante devant la Cour européenne des droits de l'homme. [25]
De plus, en Suisse aussi, des personnes meurent encore des suites de violences policières racistes, lors de contrôles ou en prison. [53] Ces cas et leurs conséquences sont peu étudiés. Il manque en Suisse des données et des évaluations concrètes sur le racisme au sein de la police. Ces cas ne sont traités que sous la pression de la société civile et des médias, lentement et isolément. Lorsque des personnes touchées veulent porter plainte, le processus échoue souvent par faute de preuves et en raison du travail du ministère public, qui protège l'appareil répressif étatique. Il est temps que cela change ! Outre des services d'accueil et de dépôt de plainte indépendants, il faut un recensement systématique des violences policières racistes, et de même pour la justice. En effet, les tribunaux sont considérés comme des institutions au-dessus de tout soupçon, un symbole d'objectivité et de neutralité. Cela rend plus difficile d'aborder le racisme au sein de la justice, qui n’a jamais été exempte de structures racistes.
Le tribunal renforce les stéréotypes sur les groupes racisés et les criminalise. La vision du milieu des juges a un impact sur la peine prononcée et l'évaluation de la crédibilité des personnes participant au procès. Des études menées dans les pays anglophones montrent que les personnes noires sont condamnées à des peines plus lourdes et considérées comme moins crédibles que les témoins blanc·hes. [52]. Partant de ce constat, il est nécessaire de dénoncer les situations et décisions racistes dans les tribunaux et de soutenir les personnes touchées par la criminalisation raciste. L'observation et les comptes-rendus des procès doivent être développés pour permettre de documenter les procédures judiciaires.
L'accès au système judiciaire pour faire valoir ses droits est également très inégal. La connaissance et la familiarisation avec le système juridique ainsi que l'argent pour payer les frais de représentation et de justice ne sont pas disponibles pour tous de la même manière. Les personnes racialisées sont souvent moins bien loties.
Mais il faut aussi une réflexion plus fondamentale sur la police et la justice. Ces structures, en particulier la police, ne sont pas réformables. Nous devons donc affaiblir financièrement ces institutions répressives et les remplacer à long terme par des éléments constructifs de sécurité publique tels que l'éducation, l'aide à la recherche d'emploi et la sécurité du logement.
Le racisme structurel en Suisse, concrètement
Le racisme structurel est profondément ancré dans notre société et touche aussi bien les personnes issues de l'immigration que celles qui ne le sont pas. Une vaste collecte d'études et un complément d'étude de l'Université de Berne montrent clairement que le racisme structurel touche pratiquement tous les domaines de la vie des personnes racisées en Suisse [24].
Le rapport du Service de lutte contre le racisme de 2014 fait état de la fréquence de la discrimination raciale dans l'environnement professionnel. En outre, le taux de chômage des personnes issues de l’immigration est supérieur à la moyenne, de même que leur présence dans les emplois à bas salaire. La discrimination supplémentaire dont sont victimes les personnes racisées TINA (trans, inter, non binaires et agenres) n'a même pas été prise en compte. Selon le rapport, 9 % des personnes interrogées ont confirmé être confrontées à des attitudes xénophobes systémiques sur leur lieu de travail [40]. La discrimination commence dès la recherche d'emploi : les candidat·es issu·es de l'immigration ou portant un nom à consonance « étrangère » doivent en moyenne envoyer 30 % de candidatures en plus pour décrocher un entretien d'embauche. C'est la conclusion à laquelle parvient le projet de recherche « Discrimination as an obstacle to social cohesion » [41].
La situation professionnelle et la vie en Suisse sont particulièrement précaires pour les sans-papiers, c'est-à-dire les migrant·es qui n'ont pas de statut de séjour régulier. Faute de documents de séjour légaux, elles·ils sont privé·es de nombreux droits et de la participation à la vie publique. En Suisse, on estime que cela concerne entre 80'000 et 300'000 personnes. La nécessité d'éviter de se faire remarquer pour afin de ne pas révéler leur absence de statut de séjour, limite fortement la vie des sans-papiers [49].
Cette vulnérabilité, combinée avec l'impossibilité d'exercer légalement une activité lucrative, a pour conséquence que les sans-papiers sont exploité·es par les entreprises dans des emplois au noir. Elles et ils risquent de ne pas être payé·es ou de recevoir un salaire trop bas [49]. Ce sont généralement les sans‐papiers qui doivent en subir les conséquences, et pas les entrepreneuse·eurs qui pratiquent illégalement le dumping salarial. Les tentatives de régulariser la situation des sans-papiers sont essentiellement restées vaines. Parmi les projets de ce genre, on relève l'« opération Papyrus », qui devrait permettre des régularisations facilitées dans le canton de Genève depuis 2017, ou encore les efforts de la ville de Zurich avec la « City Card » qui tente de garantir un séjour décriminalisé dans la ville [50], [51].
La création raciste d'identité dans la société suisse
C'est une partie de la société qui détermine, selon un point de vue raciste, si une personne est perçue comme suisse ou étrangère [27]. La racialisation est essentielle à cette détermination, créant des différences fictives dans lesquelles l'endroit où la personne a grandi ne joue aucun rôle. Cela permet de marginaliser des personnes et de les stigmatiser en les classifiant comme « étrangère·er », même quand elles sont nées et ont grandi en Suisse. Ce « théâtre de l'intégration » se joue aussi dans le discours sur les conditions de naturalisation et dans le processus de naturalisation en général. En 2018 est entrée en vigueur la révision totale de la loi sur la nationalité (LN), augmentant encore de manière significative les obstacles à la naturalisation. Pour pouvoir déposer une demande de naturalisation, il faut désormais justifier de dix ans de séjour en Suisse et d'au moins un statut C (avant la révision, les personnes ayant un statut B ou F pouvaient également se faire naturaliser). De plus, les demandeuse·eurs doivent satisfaire à ce qui est appelé des « critères d'intégration ». L'Observatoire du droit d'asile et des étrangers évoque des cas dans lesquels la naturalisation n'a pas été délivrée parce que la personne n'est pas parvenue à fournir les « détails locaux » requis. Les différences communales et cantonales en matière de procédure sont importantes. À cela s'ajoutent les coûts financiers élevés, sur lesquels la Suisse enfreint une fois de plus la Convention de Genève sur les réfugiés. Pour les réfugié·es reconnu·es, la procédure devrait être accélérée conformément à la convention et les coûts devraient être réduits [28].
Dans le débat sur la naturalisation, l'opinion publique fait appel à des ressentiments racistes, et la vision « ethnique » de la population s'exprime une fois encore. Ainsi, le passeport devrait se mériter par un certain « sens des valeurs » [29]. Le mode de pensée raciste se manifeste dans l'idée sous-jacente selon laquelle les personnes sans passeport suisse seraient hostiles à la démocratie et à l'égalité. On peut retenir ici que le pays d'origine des demandeuse·eurs est un critère déterminant dans une décision de naturalisation, ce qui est raciste. Ne pas avoir de passeport suisse signifie ne pas avoir de droit à la parole. Pour nous, il est clair que quiconque vit ici doit avoir son mot à dire. Il faut mettre fin à cette inégalité de traitement raciste.
Reconnaître et combattre le racisme
L'Europe connaît actuellement un véritable retour des idéologies d'extrême droite fondées sur des bases racistes. L'UDC, la plus grande force réactionnaire de Suisse, n'est plus une exception en Europe, elle est même à l'avant-garde des développements actuels. Le parti d'extrême droite parvient, au moins depuis les années 90, à présenter régulièrement des initiatives racistes, qu'il remporte souvent grâce à des campagnes agressives et haineuses. Ce véritable bombardement de récits réactionnaires et identitaires entraîne un glissement vers la droite des discours sur la migration au sein de la société. L'UDC emploie des éléments d'argumentation néo-racistes dont les bases ont été posées bien avant l'époque du parti, comme le concept d'« Überfremdung » (surpopulation étrangère), partie intégrante de la culture politique suisse, qui a atteint son apogée dans les années 70 avec l'initiative Schwarzenbach, lancée par l'« Action nationale contre l'emprise étrangère sur le peuple et la patrie » (aujourd'hui connue sous le nom de « Démocrates suisses »). Les politicien·nes de l'UDC ont repris un narratif similaire dans les années qui ont suivi, en déplaçant l'accent sur la haine des demandeuse·eurs d'asile. [30, p. 188 et autres]. La campagne de l'UDC sur l'« initiative pour le renvoi des étrangers criminels » a attiré l'attention internationale sur l'« affiche aux moutons », qui a été sévèrement condamnée par le rapporteur spécial de l'ONU sur le racisme.
Des actrice·teurs aux positions proches de l'UDC (et parfois membres de l'UDC à titre privé) ont pris le contrôle de plusieurs (groupes de) médias et parviennent à exercer une influence considérable sur le discours. Le résultat est désastreux. Outre le regroupement de nombreuses publications sous le contrôle de rédactions en chef triées sur le volet, la plupart des chaînes sont rassemblées entre les mains d’une poignée de puissants groupes de médias. Non seulement la diversité des médias et la qualité du journalisme en pâtit, mais le contenu s'est globalement déplacé vers un agenda encore plus marqué dans sa défense de l'ordre établi et incitant à sa radicalisation raciste et autoritaire. Au vu des rapports de pouvoir actuellement en place, il est extrêmement compliqué de les combattre avec des visions antiracistes et anticapitalistes. Des analyses le montrent clairement : on parle très souvent des minorités racisées, mais on ne leur donne pas la parole. Ce traitement médiatique s'appuie sur des stéréotypes et des préjugés racistes, le débat fait souvent appel à des généralités et il est mené par des hommes cis blancs bourgeois [31, S. 40].
Les forces conservatrices de droite travaillent depuis longtemps à rendre les idéologies racistes acceptables en Suisse (bien qu'il faille se demander si de telles idéologies ont déjà réellement été absentes à un moment donné de l'histoire récente). Elles parviennent, en s'appuyant sur une forte présence dans les médias, à influencer l'opinion de la majorité de la population. C'est ce qui se passe par exemple dans le débat actuel sur l'appropriation culturelle, un sujet tendu et controversé. Ce thème prend ses racines dans l'époque de la domination coloniale, et tire donc ses origines de l'esclavagisme et de l'exploitation culturelle systématiques.
Même si l'on se trouve sur une ligne de crête dans le débat sur l'appropriation culturelle et qu'on n'a jusqu'à présent pu trouver aucun solution absolue, la discussion est d'une grande importance. Elle est importante parce qu'elle permet de prendre conscience du système de domination blanche existant dans notre société. L'appropriation culturelle est conçue pour opprimer et exploiter certains groupes humains. De nombreux éléments des cultures colonisées ont été volés et exploités par les colonisatrice·teurs pour en tirer profit. Ces biens culturels se trouvent encore aujourd'hui dans de nombreux musées en Occident et illustrent clairement la manière dont la domination coloniale laisse encore des traces aujourd'hui. En 1830, l’« Indian Removal Act » a été promulgué aux États- Unis pour poser les bases légales de l’expulsion des populations indigènes et interdire la culture indigène [48]. L'objectif de la critique de l'appropriation culturelle est donc une relecture de l'histoire. Elle met en avant la revendication de l'égalité des droits [43].
Du racisme ordinaire à l'antiracisme ordinaire
Le racisme ordinaire est une forme de racisme souvent plus pernicieuse qui se manifeste dans les situations de tous les jours. Le racisme ordinaire peut prendre la forme de préjugés, de discriminations et stéréotypes, de désavantages ou d'exclusion. Il peut avoir des répercussions sur différents aspects de la vie, comme l'accès à l'éducation, au travail, au logement ou aux soins.
Le racisme ordinaire a plusieurs visages. Il s'exprime par exemple quand on demande à une personne d'où elle vient « vraiment », ou dans des représentations stéréotypées dans les manuels scolaires. Ces exemples ont un point commun : une classification globale et racialisée, visant à classer les personnes par nationalité ou par « culture ». On crée ainsi un « nous » et un « eux ». Ce processus est appelé « altérisation ». Dans chaque société, il existe ce qu'on appelle une « connaissance raciste », constitué de stéréotypes ou de préjugés sur les « autres ». Ces préjugés font l'objet d'un consensus au sein de la société, dont le savoir raciste traverse toutes les couches sociales.
Le début du XIXe siècle a été une époque déterminante pour la création de représentations racistes, telles que le développement du personnage de « Jim Crow », qui faisait partie des minstrel shows aux États-Unis et avait un but de divertissement. Des comédien·nes blanc·hes avec le visage peint en noir interprétaient des personnages qui incarnaient les stéréotypes négatifs sur les Afro-Américain·es. Les représentations de blackfaces sont rapidement devenues partie intégrante de l'industrie cinématographique, de même que les yellowfaces (contre les personnes perçues comme issues d'Asie de l'Est) [45] [46] [47].
Bien que la critique du blackface, du yellowface et du redface (pour les groupes de populations indigènes) soit répandue dans la population, elle se heurte souvent à des attitudes défensives et à l'ignorance. Il n'est pas rare que des personnes se déguisent en « Indiens » en Suisse pour Halloween, à Bâle pour le carnaval ou à Frauenfeld pour la Bechtelisnacht, reproduisant ainsi des images très dépassées et erronées des groupes de population indigènes. On a tendance à qualifier les objections d'exagérées et injustifiées. Cette position est due à un manque de conscience et de l'ignorance qui conduisent à une reproduction perpétuelle des stéréotypes. Singer une couleur de peau et les attributs culturels de tout un groupe humain pour se divertir est un acte dégradant dont les effets se font encore sentir aujourd'hui. La pratique de parodier les personnes appartenant à des groupes marginalisés et leur culture et de les instrumentaliser pour des costumes, de la popularité ou du profit est un exemple de l'arrogance qui prévaut dans les relations entre les profiteuse·eurs de la domination blanche et les groupes humains opprimés.
En Suisse, le racisme ordinaire est vécu par de nombreuses personnes et est étroitement lié au pouvoir dans la société. Une majorité de la société détermine ce qui est « normal » et ne remet pas en question cette normalité (blanche) développée historiquement, mais, au contraire, la maintient. Le messianisme blanc est le produit d'un racisme systémique. Des États, institutions et individus du Nord global appliquent à leurs pratiques (néo)coloniales des termes tels que « aide » et « collaboration au développement ». C'est ainsi par exemple que les levées de fonds de ces ONG font appel à des images qui évoquent un stéréotype raciste d'enfants « africain·es » « sans défense », que devraient « sauver » les donatrice·teurs du Nord global [35]. C'est également dans ce cadre que se produit ce qu'on appelle le « volontourisme » des personnes du Nord global, qui consiste généralement à s'engager sur des « projets d'aide au développement » dans des pays du Sud global sans posséder aucune compétence adaptée.
Mais les ONG et les individus ne sont pas les seuls à reproduire les structures coloniales : les État en font tout autant. Le Secrétariat d'État à l'économie (SECO) pratique aussi l'exploitation néocoloniale. Ainsi, le SECO a versé jusqu'en 2020 un million de francs par an au Water Resources Group (WRG), une association des grands groupes Nestlé, Coca-Cola et d'autres actrice·teurs [32]. La présence active de la DDC (Direction du développement et de la coopération) au Rwanda avant le génocide est également problématique, pour ne citer que ces deux exemples [33].
Il faut immédiatement mettre un terme à ces agissements néocoloniaux. La prétendue « aide au développement » doit être abolie. Des réparations à hauteur des dommages causés doivent être versées, sous forme de paiements directs ou de paiements à des projets de la population locale.
Pour dissoudre le racisme au sein de la société, la société blanche majoritaire doit renoncer à ses privilèges et ouvrir les structures institutionnelles du pouvoir afin de permettre la participation des groupes jusqu'ici sous- représentés et défavorisés. Cela requiert de profonds changements individuels et sociaux, qui font face à une résistance et à des stratégies de défense de la part de la société majoritaire. La lutte antiraciste est indispensable pour une société diverse et hétérogène, et elle est urgemment nécessaire. La société majoritaire blanche doit prendre et faire appliquer des mesures légales, sociales et politiques afin de réduire le racisme et les autres formes de discrimination. Ces mesures devraient s'inspirer du mouvement d'« empowerment » des personnes racisées et briser les structures racistes à tous les niveaux de la société. Pour être efficaces, ces mesures doivent prendre au sérieux la protection contre le racisme au quotidien et encourager la participation politique. Dans l’ensemble, il s'agit de mettre en place dans tous les domaines de la vie des attitudes et des structures basées sur le respect et la valorisation. [42]
Pas de vision sociétale sans antiracisme
L'idée du concept de « races humaines » n'est aujourd'hui pratiquement plus défendue. Les idéologies racistes ont adopté un nouveau vernis, mais les objectifs inhumains qui les sous-tendent restent les mêmes. Il faut en permanence les démasquer et les condamner. Nous vivons dans une société raciste, et sommes socialisé·es en conséquence. Le racisme ne peut pas être réduit aux idéologies (néo)nazies ; les structures racistes sont établies systémiquement et historiquement. Elles étaient et sont toujours indispensables au système économique capitaliste.
Les capitalistes mobilisent toutes leurs ressources pour défendre ces structures ; nous, la classe ouvrière, ne pouvons répondre que par une solidarité inconditionnelle et une lutte commune.
Pour lutter activement et efficacement contre la domination blanche en Suisse, des mesures concrètes sont nécessaires. Il convient ici de noter que nos revendications ne constituent en aucun cas une alternative durable à l'indispensable renversement de l'ordre étatique et social bourgeois démocrate au fondement du capitalisme. Des mesures s'imposent d'urgence dans les domaines suivants :
1. Fournir une formation et une recherche antiracistes
La Confédération doit augmenter massivement les moyens financiers destinés à la recherche qualitative et approfondie sur les questions de racisme. Ce n'est qu'avec une réflexion approfondie sur le racisme et son ancrage dans notre société qu'il sera possible de désamorcer efficacement le racisme sous toutes ses formes. La déconstruction du racisme et de la suprématie blanche doit s'opérer à tous les niveaux de formation. Nous demandons donc l'ancrage de l'éducation antiraciste dans les programmes scolaires à tous les niveaux de formation. Il faut également développer le financement public de la recherche antiraciste. Il faut une large offre de formations continues antiracistes dans tous les secteurs. En particulier dans le journalisme, l'éducation, la police et la justice. Les institutions publiques doivent organiser régulièrement ces formations.
2. Reconnaître la dette coloniale et en tirer les conséquences !
La Suisse doit assumer pleinement son passé colonial. Cela implique de reconnaître officiellement la dette coloniale et d'en tirer les conséquences. Ce processus doit être suivi par le paiement de réparations directes aux pays et aux groupes de population qui ont subi des dommages dus aux pratiques d'exploitation coloniales des entreprises et de l'État suisse. Les biens culturels privés et publics soupçonnés d'être d'origine coloniale doivent être confisqués. L'histoire de ces biens doit faire l'objet d'un travail de mémoire qui doit aboutir à leur restitution à leur lieu d'origine. L'étude du passé colonial doit enfin occuper une place de choix dans les manuels scolaires suisses. Enfin, la Suisse et ses entreprises actives au niveau mondial doivent mettre un terme à l'exploitation actuelle des pays au passé colonial.
3. Démolir la forteresse Europe !
Nous demandons la fin de la politique migratoire et frontalière raciste de l'UE. Toutes les revendications formulées dans le papier de position sur la migration de la JS Suisse sont fondamentales pour la lutte contre le racisme. Le régime migratoire et la politique frontalière actuelle engendrent violence, exclusion et discrimination des groupes racisés et doivent être abolis. La création des États-nations et de leurs frontières est également un processus raciste depuis son origine.
4. Contre le racisme dans la justice, la police et les services de migration !
L'impact des structures racistes à tous les niveaux de la société doit enfin être reconnu. Le racisme dans l'appareil policier et judiciaire coûte des vies humaines. Nous demandons donc la collecte constante et complète de données sur les violences et les discriminations racistes dans les institutions étatiques. Il faut également des services d'accueil et de dépôt de plainte indépendants, mais financés par les pouvoirs publics, pour les personnes concernées. Ces services doivent être responsables de l'enregistrement des plaintes contre les actes racistes commis par des représentant·es de l'État, qu'il s'agisse de la police ou d'autres autorités, et devront les examiner de manière approfondie pour apporter une aide appropriée aux personnes concernées. Ces services ne peuvent toutefois fonctionner que s'ils disposent d'instruments juridiquement contraignants et efficaces, et doivent donc en être dotés. De plus, les institutions du régime migratoire et la police ne doivent plus recevoir de moyens financiers supplémentaires. Ceux-ci constituent aujourd'hui la base de leur militarisation et de l'extension de leur domaine d'activité répressif. À long terme, il faut abolir la police et la remplacer par la création d'alternatives concrètes.
5. Les mêmes droits pour toutes les personnes vivant en Suisse, maintenant !
Nous demandons les mêmes droits pour toutes les personnes vivant et habitant en Suisse. La participation politique, donc le droit de vote et d'éligibilité, doit être garantie pour toutes les personnes vivant en Suisse. Personne ne droit vivre dans l'indignité, c'est pourquoi l'accès au marché du travail, à l'aide sociale et aux assurances sociales doit être garanti sans risquer son statut de séjour. Des mesures plus fortes doivent être mises en place pour lutter contre le racisme sur le lieu de travail et le marché du travail. La société à deux vitesses créée par la LEI et la loi sur l'asile doit prendre fin. Les discriminations racistes dans les domaines du logement, du travail et dans la vie doivent être recensées et analysées par l'État. Sur la base des résultats, il faudra élaborer des mesures et les mettre en œuvre.
La gauche suisse et l'(anti)racisme : et maintenant ?
La gauche blanche d'Europe centrale ne semble pour l'instant pas être parvenue à s'approprier une analyse rigoureuse et conséquente du racisme et à agir en conséquence. Des concepts en ce sens existent, mais sont rarement utilisés. Seul le concept d'intersectionnalité trouve parfois une place dans les analyses de gauche, mais il est généralement employé de manière peu claire, vague et complètement ignorante de son origine. L'antiracisme semble être essentiellement traité comme une obligation morale, ce qui fait qu'une grande partie de la gauche blanche n'est pas capable d'expliquer de manière fondée en quoi racisme et capitalisme sont liés, ou que le fait de « ne pas voir les couleurs » consiste à nier le racisme. Il n'est alors pas rare que des actrice·teurs de gauche affirment que tous les êtres humains doivent être considérés comme « égales·aux » sans tenir compte du fait qu'en raison des oppressions sytémiques, tous les êtres humains ne sont, en fait, pas traités de la même manière, occultant donc la nécessité de solutions sur mesure aux situations d'inégalité raciste.
Une analyse fondée est capitale pour distinguer et éviter ainsi que la gauche n'adopte une conception libérale de l'antiracisme. L'antiracisme libéral tente de réduire les discriminations systémiques à un niveau individuel [33]. Ce faisant, les antiracistes libérale·aux ne tiennent pas compte du fait que le racisme est un instrument central de l'exploitation capitaliste. La lutte contre le capitalisme doit donc pour nous impérativement être antiraciste. Dans cette lutte, les travailleuse·eurs ne doivent pas se laisser diviser.
Les concepts postcoloniaux, inspirés du marxisme, doivent également prendre une grande importance pour la gauche suisse. La théoricienne postcoloniale Gayatri Spivak critique l'approche essentiellement patriarcale et eurocentriste des théoricien·nes centrale·aux les plus lus, et défend l'idée que l'on ne peut agir de manière réellement antiraciste que si l'on rompt avec le régime de savoir patriarcal et eurocentriste. L'un des principaux problèmes est que les revendications antiracistes ne sont pas réellement mises en avant dans les programmes électoraux et qu'il n'y a pratiquement pas de réflexion sur le sujet. Des objets tels que le référendum sur Frontex ont été traités avec négligence par le PS qui leur a, par conséquent, consacré peu de ressources. La JS doit également engager une réflexion à ce sujet et transmettre ses conclusions au PS et aux autres forces de gauche. En effet, si la JS veut devenir une force antiraciste, elle devra mener une restructuration interne, une remise en question de son racisme intériorisé et une formation sur le sujet. Il est en particulier nécessaire d'agir dans les domaines suivants :
1. Formation interne
Actuellement, il y a un manque de formation sur le thème du racisme. La perspective antiraciste est souvent absente des PSNS. La JS doit à l'avenir fournir des formations approfondies sur l'origine du racisme et les mouvements antiracistes, sous forme d'un PSNS ou de plusieurs ateliers thématiques plus courts. En outre, lors de la révision des PSNS, une perspective antiraciste doit être ajoutée à tous les PSNS existants.
2. Réflexion et conséquences à en tirer
Sur la base de la formation antiraciste, la JS doit mener une autocritique plus approfondie. Nous voulons élaborer des modules qui permettront une réflexion critique et fondée sur le racisme internalisé des militant·es blanc·hes de la JS ainsi que sur le racisme dans les structures du parti. Une formation et une autocritique fondées doivent accorder de l'espace aux personnes concernées par le racisme et aux militant·es antiracistes en leur proposant de dispenser des formations, en aidant à l'organisation de ces formations et en remettant en question les structures et les comportements au sein du parti. Il est important de ne pas rejeter la responsabilité de la formation antiraciste sur les personnes concernées par le racisme.
3. Structure
Jusqu'à présent, la JS a effectué trop peu de travail de sensibilisation sur la question du racisme. Il n'existe donc aucun possibilité pour les personnes concernées par le racisme de signaler des incidents racistes au sein du parti. Si nous voulons créer des structures exemptes de racisme, il faut élaborer un concept de sensibilisation contre le racisme qui puisse être utilisé lors des assemblées et de tous les autres évènements de la JS. Il faut également créer des espaces de réflexion. La JS doit également s'engager activement au sein des syndicats et du PS pour une politique antiraciste. Les syndicats ne proposent par exemple pas de soutien et de conseils spécifiques pour les personnes touchées par le racisme sur leur lieu de travail. Au sein du PS également, la lutte contre les structures racistes est souvent traitée comme accessoire et n'est pas assez portée à la connaissance du public.
4. Collaboration
La JS néglige actuellement l'échange et la collaboration avec les actrice·teurs antiracistes : cela doit cesser ! La collaboration avec d'autres organisations est fondamentale dans la lutte contre le capitalisme et les structures d'oppression. La JS doit assumer un rôle de soutien et laisser la scène aux personnes concernées par le racisme et aux militant·es antiracistes.
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[42] TOAN QUOC NGUYEN Outside the box – Rassismuserfahrungen und Empowerment von Schüler*innen of Color.
[43] Balzer, Jens. „Was Sie wissen sollten, bevor Sie sich über kulturelle Aneignung aufregen“. Republik, 11 août 2022. https://www.republik.ch/2022/08/11/was-sie-wissen-sollten-wenn-kulturelle- aneignung-sie-aufregt.
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[50] Migration, Staatssekretariat für. „Papyrus“. consulté : 11 janvier 2023. https://www.sem.admin.ch/sem/de/home/themen/aufenthalt/sans-papiers/papyrus.html.
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[53] p. ex. C. Hanimann, "Die Rekonstruktion eines fatalen Polizeieinsatzes", Replublik, 16. Dezember 2021. [Online] https://www.republik.ch/2021/12/16/die-rekonstruktion-eines-fatalen-polizeieinsatzes. [Zugegriffen: 21. Januar 2023]