Lorsque Joseph Robinette Biden, Jr. déclare sa candidature à la présidence des États-Unis le 25 avril 2019, le monde est dans un tout autre état qu’il l’est actuellement : les Démocrates viennent de remporter la Chambre des Représentants et ont – encore – perdu le Sénat, Donald John Trump continue ses frasques quotidiennes sur Twitter, l’UDC possède encore 65 sièges au Conseil national et le Royaume-Uni fait encore partie de l’Union de l’Européenne. Quelques 18 mois plus tard, la situation est totalement changée. Retour sur une campagne hors-normes.
Il est sept heures du matin en Suisse, ce 4 novembre, lorsque les derniers bureaux de vote – ceux de l’Alaska – ferment leurs portes. Sinon dans les États solidement républicains ou démocrates, le suspense est total pour savoir qui de Donald John Trump, 45e président des États-Unis, ou Joseph Robinette Biden, Jr., 47e vice-président des États-Unis, a été élu par le corps électoral. Passer une nuit blanche n’aura servi à rien : au fur et à mesure du dépouillement, on s’aperçoit qu’une réponse n’apparaîtra pas avant le week-end. Samedi 7, vers 17h30, Joe Biden remporte la Pennsylvanie, lui permettant de devenir le 46e président des États-Unis[1].
Lorsque les primaires démocrates s’ouvrent dans le froid de l’hiver, le 3 février 2020, Joe Biden semble être en lourde difficulté : arrivé quatrième dans le caucus de l’Iowa – après un décompte qui n’a rien à envier celui du Nevada – sur onze candidat·e·x·s, la victoire surprise de l’ancien maire Peter Paul Montgomery Buttigieg plaçant celui-ci comme possible recours à l’aile modérée du Parti démocrate en cas de retrait de Joe Biden et face à l’aile à l’aile progressiste représentée par Bernard Sanders. Les deux primaires suivantes n’améliorent guère son image, arrivant cinquième dans le New Hampshire il arrive cependant deuxième dans le Nevada, derrière Bernie Sanders, qui le devance de vingt points. La primaire de Caroline du Sud, où Biden remporte près de 50% des voix, relance sa campagne.
Pendant ce temps, du côté des Républicains, les primaires avancent sans aucune once de suspense : le 17 mars, Trump remporte les primaires de l’Illinois et de la Floride, lui octroyant de jure l’investiture pour la présidentielle du 3 novembre suivant[2]. Le fiasco du caucus démocrate en Iowa met du plomb dans l’aile de leurs campagnes[3][4], tandis qu’elle permet à celle de Trump de s’imposer comme beaucoup plus professionnelle, sinon routinière, qui saura mieux faire fonctionner le pays que ces « socialistes »[5] qui ne savent même pas gérer une simple primaire dans un petit État. Donald Trump semble très bien parti pour une réélection et devenir, pour la première fois de l’Histoire, le quatrième président américain de suite à obtenir un second mandat de quatre ans – après ses prédécesseurs Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama ayant été réélus.
Peu présent au début de la campagne, un élément d’abord mineur devient le centre des attentions au cours du printemps, avant même que Bernie Sanders n’abandonne sa campagne pour se ranger derrière Joe Biden : le coronavirus. En mai, le pays devient l’épicentre de la pandémie et le restera trois mois durant[6], donnant un nouveau souffle à la campagne de Joe Biden : soutenant le candidat, la nouvelle génération du Parti démocrate – incarnée par les figures de gauche que sont Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar et Rashida Tlaib, toutes trois élues puis réélues cette année au Congrès – porteuse du Medicare for All prend une importance toute particulière, pour laquelle l’aile modérée n’aura aucune considération. C’est pourtant à ces militant·e·x·s acharné·e·x·s que l’on doit la défaite de Donald Trump.
Alors que l’été se poursuit et fait place à l’automne, la campagne de Trump semble tenter les derniers recours : accusations de fraude, multiplications des meetings dans la dernière semaine – jusqu’à cinq meetings par jour le week-end précédent l’élection – et, signe qui ne trompe pas, arrête sa campagne dans certains États-clés[7] pour tenter d’obtenir sa réélection à quelques grands électeurs près. Pendant ce temps, la campagne de Joe Biden s’intensifie, le Parti démocrate étant encore sous le choc de la défaite surprise de 2016. Pour autant, comme en 2016, le score de Donald Trump est plus important que qu’annoncé par les sondages et il faut attendre plusieurs jours pour déterminer le résultat de l’élection. Alors que les projections donnaient à Biden près de dix points d’avance sur Trump[8], il finit par remporter cet Etat avec moins de trois points de plus que son adversaire [9].
Si d’une manière générale, la forte mobilisation a été favorable aux Démocrates, elle leur en a aussi coûté : en Floride et en Ohio, la forte hausse la participation profite à Donald Trump, qui y profite d’une avance de respectivement trois et demi et huit points, creusant son score en Floride par rapport à 2016. En plus de prouver une nouvelle fois l’inefficacité des sondages, le bon score de Donald Trump – il devrait obtenir entre 232 et 248 des 538 grands électeurs – doit servir de signal d’alarme au Parti démocrate et à la gauche : la démagogie de droite et le fascisme sont de retour sur le devant de la scène américaine.
Ces signes ne trompent pas et tournent surtout autour de l’armement massif et de la décrédibilisation du vote par correspondance : constitution de groupes armés néofascistes – on pensera aux Proud boys auxquels Donald Trump a appelé à « se tenir prêts » lors du premier débat présidentiel du 29 septembre[10] –, présence de personnes avec des fusils devant les bureaux de vote[11], intimidations[12] et non reconnaissance des résultats dans plusieurs États-clés [13]. Si les USA sont un pays surarmé, connu pour ses nombreux massacres de masse notamment dans les écoles, c’est la première fois qu’un candidat majeur conteste les résultats dans autant d’États[14] et insinue qu’il y aurait une fraude – sans en apporter la moindre preuve[15].
La stratégie de Trump est claire : délégitimer le vote par correspondance, largement favorable à Biden, pour en faire annuler les bulletins, et remporter plusieurs États qui feraient pencher la balance. La réélection ou la guerre civile. En prenant en compte la victoire du président sortant en Caroline du Nord[16], il obtient pour l’heure 232 grands électeurs ; remporter la Pennsylvanie, l’Arizona, le Nevada et la Géorgie – les principaux États où les résultats sont contestés – lui permettrait d’obtenir 285 grands électeurs, c’est-à-dire d’obtenir un second mandat. Cependant, il paraît peu probable que les Cours des États ou la Cour suprême accèdent à sa requête, les écarts étant trop importants – à l’exception de la Géorgie qui a déclenché un recompte automatique vu le faible écart entre les deux candidats[17] – et plusieurs Cours ayant déjà refusé plusieurs requêtes de l’équipe de Trump[18][19].
Joe Biden a remporté l’élection, qui sera confirmée par le collège électoral le 14 décembre[20]. Si une bataille est gagnée, la guerre ne fait que commencer : il s’agit maintenant de battre le trumpisme, les milices d’extrême droite qui reprennent en popularité et contrer le mandat néolibéral à venir de Biden. Il en va de la lutte internationale et du bien-être des travailleur·euse·x·s du monde entier. Ce ne sera pas simple et les marches fascistes et armées prévues sur Washington pourraient faire basculer le pays dans une guerre civile[21]. Mais à n’en point douter, nos camarades des Démocrates Socialistes d’Amérique sont du bon côté de l’Histoire. Comme l’ont toujours été les militant·e·x·s féministes, écologistes, antifascistes, antiracistes et internationalistes.
[1] https://www.rts.ch/info/monde/11732837-joe-biden-est-elu-president-des-etatsunis-annoncent-les-medias-americains.html
[2] https://thehill.com/homenews/campaign/488148-trump-becomes-presumptive-gop-nominee-after-sweeping-primaries
[3] https://www.nouvelobs.com/elections-americaines-2020/20200204.OBS24339/les-resultats-de-la-primaire-democrate-dans-l-iowa-attendus-dans-la-confusion.html
[4] https://www.liberation.fr/planete/2020/02/04/chaotique-le-caucus-de-l-iowa-a-sans-doute-signe-son-arret-de-mort_1777141
[5] Les Républicains ont largement tendance à décrire comme « socialistes » des candidat·e·x·s démocrates ayant au mieux une idéologie sociale-libérale, nous sommes bien conscient·e·x·s de la vérité de l’échiquier politique américain.
[6] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/05/18/l-oms-reunit-son-assemblee-mondiale-dans-la-tempete-du-covid-19_6039970_3244.html
[7] https://thehill.com/homenews/campaign/509548-trump-campaign-halts-new-ad-buys-in-michigan
[8] https://projects.economist.com/us-2020-forecast/president/michigan
[9] https://www.nytimes.com/interactive/2020/11/03/us/elections/results-michigan.html
[10] https://www.snopes.com/news/2020/10/07/proud-boys-explained/
[11] https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/elections-americaines/direct-elections-americaines-resultat-de-la-presidentielle-us-entre-donald-trump-et-joe-biden-7038790
[12] https://journalmetro.com/elections-americaines/2544514/des-militants-sorganisent-pour-prevenir-lintimidation-dans-les-bureaux-de-vote/
[13] https://www.rts.ch/info/monde/11736187-les-appels-pour-que-donald-trump-reconnaisse-sa-defaite-se-multiplient.html
[14] En 2000, l’élection présidentielle s’était jouée en Floride où le candidat républicain George Walker Bush l’avait emporté sur le candidat démocrate Albert Arnold Gore, Jr. par moins de 1000 voix, provoquant d’innombrables recours et recomptages.
[15] https://www.letemps.ch/monde/cette-fraude-electorale-donald-trump-va-devoir-prouver
[16] https://www.dailywire.com/news/trump-wins-north-carolina-decision-desk-hq-projects
[17] https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20201106-pr%C3%A9sidentielle-am%C3%A9ricaine-un-recompte-des-voix-attendu-en-g%C3%A9orgie
[18] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/06/elections-americaines-2020-les-recours-pour-l-instant-peu-convaincants-de-donald-trump_6058705_3210.html
[19] https://theconversation.com/la-guerre-des-recours-de-donald-trump-149662
[20] https://www.24heures.ch/etats-unis-comprendre-lelection-en-8-mots-459391200281
[21] https://www.ammoland.com/2020/11/million-maga-march-on-dc-stop-the-steal/#axzz6dayzcJdh