Lettre ouverte à GastroSuisse
Il est temps de prendre les violences sexuelles au sérieux !
Gastrosuisse ne voit pas de nécessité à agir contre les violences sexuelles dans ses branches, comme on a pu le lire dans la NZZ et 20min cette semaine. La fédération n’aurait connaissance d’aucun cas d’agression dans l’hôtellerie-restauration, d’après vos affirmations répétées. Cela nous paraît d’autant plus difficile à croire que plusieurs études1,2 pointent l’hôtellerie-restauration comme un secteur professionnel dans lequel le nombre de cas d’agressions sexuelles dépasse la moyenne. À nos yeux, cela devrait suffire à convaincre une fédération de l’ampleur de GastroSuisse de déployer plus d’attention et de ressources dans la lutte contre ce problème, plutôt que de se contenter de communiquer une circulaire générale. En outre, il devrait être clair pour la fédération qu’une absence de signalement d’agressions ne signifie pas automatiquement une absence d’agressions. D’après une étude représentative de gfs.bern et d’Amnesty International, 64% des femmes interrogées ont déjà été confrontées à des violences sexuelles au moins une fois.
Si la fédération n’a effectivement reçu aucun signalement et que la thématique n’a pas été traitée comme une priorité dans les entreprises qu’elle représente, elle doit alors reconnaître qu’elle fait partie du problème. Gastrosuisse ne semble pas du tout tenir un registre des cas, que ce soit de manière passive ou proactive, et il faut donc partir du principe que les personnes concernées, si elles font un signalement, le font auprès d’autres instances. De plus, l’étude du gfs montre clairement que seules 10% des agressions sont signalées à la police, et seules 8% font l’objet d’une plainte pénale.
En réaction à vos affirmations dans les médias, nous avons lancé un appel. Nous avons demandé aux personnes touchées par des violences sexuelles et des agressions dans la restauration de nous contacter pour partager leur expérience. Ce que nous avons reçu nous a laissé·es sans voix. De nombreuses personnes nous ont raconté leurs histoire. La plupart d’entre elles veulent rester anonymes, c’est pourquoi nous ne donnerons pas leurs noms ici. Tout le monde raconte à quel point le climat est humiliant dans de nombreuses entreprises. Les femmes sont quotidiennement réduites à leur apparence, subissent des remarques désobligeantes en cuisine comme devant la clientèle, et se demandent chaque jour ce qu’elles peuvent porter et comment elles doivent se comporter pour éviter des humiliations. Une concernée rapporte ainsi : « Un collègue commente une tache d’eau sur mon T-shirt au niveau de la poitrine en disant : tu ne veux pas l’enlever tout de suite ? Cela rapporterait sûrement plus de pourboire. ». Ces descriptions nous suffisent pour comprendre qu’il est urgent d’agir. Parmi les récits que nous avons reçus se trouvaient des histoires d’agressions physiques, de contacts physiques réguliers et non sollicités, de situations limites et d’agissements pénalement répréhensibles. La façon dont ces situations sont gérées lorsque les personnes concernées les signalent est également choquante. Les personnes concernées n’ont plus d’une fois pas été prises au sérieux, et les incidents minimisés. Dans un des cas rapporté, la personne a même dû quitter son emploi, pour que l’auteur des faits puisse rester. Dans le secteur de la restauration, ce sont donc avant tout les personnes touchées qui subissent les conséquences, et les auteurs (ou plus rarement autrices) peuvent rester sans être inquiétés.
Vous simplifiez bien trop les choses dans votre prise de position. Cela nous donne l’impression que vous ne prenez pas vraiment la thématique au sérieux. C’est pourquoi nous saisissons l’occasion pour vous écrire. Il devrait être dans votre intérêt que les employé·es aussi bien que la clientèle puisse se sentir bien dans les établissements que vous représentez, et que les personnes concerné·es soient crues lorsqu’elles relatent des incidents de violences sexuelles, et que ces actes soient sanctionnés de manière appropriée.
Nous attendons donc ce votre part une correction de vos précédentes affirmations, et une prise de position claire et conséquence sur le sujet. Nous vous demandons également de prendre les faits au sérieux plutôt que de continuer à détourner le regard. Des mesures de sensibilisation des entreprises, du soutien pour les personnes concernées et un travail continu pour améliorer le climat de travail sont nécessaires, y compris de la part de la fédération. Nous nous tenons volontiers à votre disposition pour un échange sur le sujet. Ces dernières années, la société a fait de grands pas en avant en matière de sensibilité à la violence sexuelle - il est temps que vous fassiez de même.
Meilleures salutations,
- Mathilde Mottet, Vice-secrétaire JS Suisse
- Thomas Bruchez, Vice-président JS Suisse
- Nicola Siegrist, Président JS Suisse
1 Feldblum, Chai R., and Victoria A. Lipnic. "Select task force on the study of harassment in the workplace." Washington: US Equal Employment Opportunity Commission (2016). https://www.eeoc.gov/select-task-force-study-harassment-workplace
2 «Harcèlement sexuel sur le lieu de travail: Qui harcèle qui, comment et pourquoi? Une meilleure compréhension pour une meilleure prévention. http://www.nfp60.ch/de/projekte/cluster-1-arbeit-organisation/projekt-krings