Pas de socialisme sans les mouvements sociaux

25.11.2021

Prise de position de la JS Suisse adoptée lors de l'assemblée des délégués du 14 novembre 2021 (Sissach, Bâle-Camapagne)


1. Introduction

Le monde brûle, des personnes sont oppressées, et une grande partie de la société ne semble pas vouloir modifier le statu quo. En tant que socialistes, il est de notre devoir de nous demander qui peut renverser cet système patriarcal, et comment. En effet, seule l'action des masses est propre à modifier leur condition sociale. Cette action prend souvent la forme de mouvements sociaux ou politiques. Plus simplement, les mouvements sont indispensables au maintien et au développement des démocraties.[1] Pour cette raison, le présent papier de position se penchera sur l'histoire, la forme, le caractère de nécessité et les possibilités d'actions des mouvements sociaux et politiques. Par souci de brièveté, et compte tenu du champ d'action politique de la JS, il se concentrera sur les mouvements suisses, leurs origines et leurs effets.

2. Une brève histoire des mouvements en Suisse

Les mouvements et sociaux ont eu un impact déterminant sur la politique suisse, tout particulièrement aux XIXe, XXe et XXIe siècle. Dans les années 1840 se forme le mouvement ouvrier, dans notre pays également, ce grâce à la nouvelle conscience de classe des compagnon·ne·s artisan·e·s. Les intellectuel·le·s eurent également rapidement une influence notable au sein du mouvement, qui s’organise très tôt en fédérations internationales. Les travailleuse*eurs ont recours à la grève à plusieurs reprises comme moyen de faire entendre leurs revendications. On trouve plusieurs tendances au sein du mouvement, allant du communisme ou du socialisme à la démocratie chrétienne, en passant par l'anarchisme. On comprend ainsi pourquoi la diversité des organisations, fédérations et associations qui en sont issues. On citera parmi ces dernières la fondation en 1834 de la Société du Grütli à Genève, celle en 1880 de l'Union syndicale suisse (USS), en la fondation du PS en 1888.[2] L'un des moments les plus marquants de ce mouvement est la grève générale de 1918. La réduction massive du temps de travail (à 48 heures par semaine) qui suivit, ainsi que l'introduction des conventions collectives de travail et, plus tard, de l'AVS/AI, et donc le tournant sociopolitique en Suisse, comptent parmi les principaux succès de cette grève.[3]

Le mouvement pacifiste

En Suisse, le mouvement pacifiste fut également très influent. Il est lui aussi issu d'une longue tradition ; certains éléments de ce courant pacifiste cherchaient déjà à s'organiser au niveau international dans les années 1880. Durant la Première Guerre mondiale, le mouvement, orienté vers l'objection de conscience, est perçu comme une menace pour la sécurité nationale. De ce mouvement émergent également des associations et des sociétés qui soutiennent ses efforts. On peut ainsi citer la Société de la paix suisse, fondée en 1895, et la section suisse de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, créée en 1915. Après la Deuxième Guerre mondiale, face à la menace de la bombe atomique, le pacifisme suisse connaît un nouvel essor, avec le lancement d'initiatives pour la limitation des dépenses militaires.[4] En 1958, le monde politique suisse discute de la possibilité d'un armement nucléaire, ce qui unit les Partisans de la paix et le pacifisme historique dans le mouvement antiatomique. Les principaux moyens de lutte du mouvement sont des actions et des initiatives populaires. Dès 1972, le mouvement pacifiste s'oriente vers la question de l'environnement et de la pollution, même si la lutte contre l'armement nucléaire reste très présente dans les années 1980. Le Groupe pour une Suisse sans Armée (GSsA), issu notamment de la JS, est fondé en 1982.[5]

Le mouvement écologique

C'est de la préoccupation pour les questions écologiques que naît le mouvement écologique, aussi appelé mouvement pour la protection de l'environnement. Ses buts politiques vont d'une volonté patriotique de préservation de la nature aux premières esquisses de critique écologiste de la croissance, en passant par un scepticisme à l'égard de la modernisation, comme les installations hydro-électriques et l'agriculture de masse. Suite aux multiples crises du pétrole et à la récession économique des années 1970, une part importante de ce mouvement se joignit au mouvement antinucléaire. En 1975, ce dernier occupe les terrains destinés à la centrale de Kaiseraugst et lance plusieurs initiatives à visée écologique.[6] C'est sur la base de ce mouvement écologique, ainsi que d'autres impulsions, qu'est fondée en 1983 la Fédération des partis écologistes de Suisse, qui prend en 1986 le nom de Parti écologiste suisse, puis se renommera en 1993 Les Verts - Parti écologiste suisse.[7]
La scène des squats devient importante dans les années 1980 à Zurich après l'émeute de l'opéra et le conflit qui s'en est suivi au sujet de l'AJZ. Ces mouvements ont lutté, et luttent encore contre la gentriication et la pénurie de logements. Divers mouvements et individus on trouvé un lieu où s'organiser dans les inombrables espaces autonomes. La ZAD de la coline a pu temporairement empêcher le développement d'une carrière à proximité de Lausanne. Dans ce contexte, les occupations deviennent un outil toujours plus important dans la lutte contre la crise climatique.

Autres mouvements

Il convient encore de mentionner le mouvement démocratique, qui a permis d'introduire le référendum facultatif et le droit d'initiative sur le plan cantonal entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe, et de remplacer la démocratie représentative par une démocratie semi-directe sur le plan fédéral.[8]​​​​​​​ Le paysage politique suisse a aussi été marqué par les mouvements autonomes des années 1980, ainsi que par le mouvement des femmes, qui se forme peu avant le début du XXe siècle.

Mouvements féministes

On comprend sous ce dernier nom les groupements et organisations qui luttent pour un accès égal à l'éducation et à la participation démocratique. Très tôt, des associations féminines de diverses obédiences politiques s'engagent contre la prostitution, la pauvreté et la consommation d'alcool. Elles militent également pour une professionnalisation des métiers féminins, comme le métier d'infirmière. La création de l'Union suisse des ouvrières, qui célébrera en 1911 la première journée féminine de l'Internationale socialiste, intervient également très tôt.[9]​​​​​​​ Ses revendications concernent le suffrage féminin, la protection des femmes venant d’accoucher, une amélioration des conditions de travail et la prise en charge des femmes par les caisses maladie. L'organisation est rapidement intégrée à l'USS et au PS. Par la suite, des groupes professionnels et de nombreuses associations et organisations aux raison d'intérêts communs, comme le suffrage féminin, poursuivent leur lutte dans les centres urbains. Ces décennies de combat acharné ont largement porté leurs fruits : l'introduction en 1971 du suffrage féminin n'en est pas des moindres.

Le mouvement de mai 68 transforme profondément le mouvement féministe. L'une des grandes nouveautés est l'arrivée de la lutte contre la morale sexuelle répressive et pour le droit à l'avortement. La deuxième vague du féminisme est bel et bien arrivée en Suisse. En 1981, on inscrit l'égalité entre femmes et hommes est dans la Constitution. En 1991, la première Grève des femmes critiquera notamment le manque de mise en œuvre de cet article dans le droit civil, en politique et dans la société.[10]​​​​​​​ Parmi les effets à long terme de cette grève de masse, on compte la nouvelle visibilité du travail de care non rémunéré ou mal rémunéré, l'introduction de l'assurance-maternité, et un grand nombre de femmes émancipées qui n'hésitent pas à s'indigner contre la non-élection de Christiane Brunner au Conseil fédéral en 1993. La revendication de l'égalité salariale n'a toujours pas été satisfaite : c'est pourquoi elle est encore une des revendications centrales de la grève des femmes de 2019.[11]

Mouvements contemporains

Avec la Grève des femmes de 2019 et les activités liées à cette dernière, le mouvement féministe a aujourd'hui acquis un rôle important dans le discours politique hégémonique. Depuis fin 2018, la Grève du Climat joue, à travers sa lutte contre la catastrophe climatique, un rôle tout aussi crucial dans l'orientation du discours. La Grève du Climat comme la Grève féministe s'inscrivent dans le cadre de mouvements globaux. Il en va de même pour le mouvement Black Lives Matter, qui se forme en Suisse durant l'été 2020, déclenché par les manifestations du même nom après que, dans un énième meurtre policier, la police tue l'afro-américain George Floyd aux États-Unis.

Conclusion intermédiaire

La JS Suisse et ses membres jouaient et continuent de jouer un rôle important en contribuant à façonner ces mouvements contemporains. Du savoir-faire, des heures de travail, des structures organisationnelles et du contenu théorique ont afflué dans ces mouvements depuis le début de leur existence, en particulier dans la Grève du Climat et la Grève féministe. Les impulsions de membres de la JS ont fortement contribué à ce que ces mouvements puissent à l'époque se développer avec une telle force. La JS a compris que les mouvements (de gauche) et la pression de la rue sur les institutions sont essentiels au maintien et au développement de la démocratie. Il est donc important de comprendre les contextes d'émergence et de développement des mouvements et d'adopter une position claire à leur égard. Pour ces raisons, la JS Suisse consacre aujourd’hui un papier de position aux mouvements sociaux et politiques.

3. L'émergence des mouvements sociaux : crises et mécontentement.

Il existe de nombreux problèmes économiques et sociaux que la démocratie bourgeoise n'est pas en mesure de résoudre en raison de l'incompatibilité fondamentale du capitalisme avec la démocratie. Là où les principes démocratiques veulent que toutes les personnes concernées puissent participer aux prises de décisions, la propriété privée des moyens de production qui constitue le capitalisme va dans le sens contraire : des individus détiennent tout le pouvoir de décision sur des biens qui concernent tout le monde.
Dans les démocraties bourgeoises, le monde se divise en deux sphères : d'un côté la sphère politique, dans laquelle les principes démocratiques s’appliquent, et d'un autre la sphère de l'économie privée, régie par des mécanismes capitalistes. Il est impératif de combattre dans son essence même cette division qui pose de graves problèmes, car les inégalités de pouvoir croissantes dans la sphère de l'économie privée se répercutent dans la sphère politique.
Face au pouvoir croissant du capital, une régulation toujours plus complète de tous les domaines économiques aurait été nécessaire pour maintenir le capital sous contrôle, ce que les mouvements sociaux n'ont cessé d'exiger

Avec le néolibéralisme, les choses ont pris une autre direction : la démocratie devrait protéger le capital et l'économie libre par tous les moyens, et garantir autant que possible son indépendance vis-à-vis des gouvernements, quitte à recourir à des méthodes autoritaires.
Contrairement à la croyance usuelle, le néolibéralisme n'est pas synonyme de démantèlement de l'État, mais d'un État fort mis au service d'une économie prétendument libre. Nous avons ainsi atteint un climat où l'alternative n'est pas envisageable, dans lequel de nombreuses revendications ne trouvent plus de destinataires au sein de l'État. En conséquence, la frustration et le mécontentement s'expriment à nouveau fortement dans la rue .

Le capitalisme est aujourd'hui en crise organique. Nous entendons par là une crise systémique profonde, qui se manifeste sous forme de différentes crises, toutes liée entre elles. Une telle crise conduit à une perte de légitimité du pouvoir en place et des institutions.

Nous vivons aujourd'hui une époque particulière : les suites de la crise économique de 2008 n'ont pas disparu, et nous entrons déjà dans la crise économique suivante, déclenchée par la pandémie de coronavirus. S'y ajoute la crise du care déclenchée par le capitalisme, la crise de la démocratie dans de nombreux pays, ou encore la crise climatique, considérée comme le plus gros défi de notre temps, et qui exige une action urgente.

Ce contexte nous permet de comprendre pourquoi autant de mouvements émergent en Suisse ces dernières années. Comme dit plus haut, les mouvements s'attaquent à ces problèmes non résolus (et souvent aggravés par les crises), et au mécontentement et au désir de changement qui en résulte.

Le développement d'un nouveau mouvement social suit toujours plus ou moins le même schéma : un sentiment de mécontentement ou un problème matériel se développe pendant plusieurs années. À un moment donné, il s'ensuit un point de cristallisation, et pour beaucoup de personnes, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. C'est ce point qui pousse les gens à s'organiser. Cela peut être un évènement grave, ou un évènement en apparence innocent mais qui déclenche une forte dynamique symbolique. C'est par exemple le cas de la grève scolaire de Greta Thunberg, qui est devenu le point de cristallisation pour de très nombreux mouvements pour le climat dans le monde entier.

Ce processus peut être favorisé par des institutions existantes, par exemple à travers des formations techniques et théoriques dans les partis, ou par la mise à disposition de canaux de communication existants, permettant aux personnes mises en lien de se réunir pour changer ce qui les dérange.

Comme le démontre l'aperçu historique proposé plus haut, les militant·e·s d'un mouvement s'engagent ensemble pour des revendications définies et mettent en place divers moyens de pression pour parvenir à leurs fins comme des actions, des grèves, etc. Au sein des mouvements, beaucoup de choses se font de manière très simple et accessible, notamment la communication. De grands groupes de conversation, des listes de destinataires d’e-mails très simples et des réunions régulières constituent souvent l'essentiel de la communication interne. Des structures plus précises du mouvements ne sont définies que dans ces plénières ouvertes, si encore elles sont définies.

Ce qui se passe ensuite varie en fonction du type de mouvement. Les mouvements populaires démocratiques se rassemblent et déterminent leur style d'interventions publiques (p. ex. non-violentes, sous forme de manifestations), leur méthode de recrutement, leurs canaux de communication et leurs revendications communes en assemblées plénières ou en assemblées des délégué·e·s. C'est aussi dans ces assemblées que l'on pose les premières bases d'une vision commune à long terme et d'un programme de formation. Les groupes qui s'occupent de la mise en place de ces structures ne sont pas fixes. Il est possible de les rejoindre et de commencer à s'impliquer à peu près n'importe quand. Ces groupes évitent les structures hiérarchiques, notamment pour mieux gérer l'afflux de personnes. On ne peut cependant pas nier que certain·e·s membres particulièrement engagé·e·s et présent·e·s peuvent gagner une grande influence et un certain pouvoir au sein du mouvement, et donc qu'une certaine hiérarchie cachée se développe inévitablement. Le mouvement doit être conscient de ces dynamiques, et faire face à cette situation ouvertement. Il est cependant naïf de croire qu'on peut totalement échapper à ces hiérarchies. Il arrive même parfois qu'en les combattant, on pousse des militant·e·s active*s à quitter un mouvement, ce qui peut le paralyser. Les hiérarchies informelles peuvent aussi conduire à ce que les personnes qui obtiennent le plus de pouvoir soient les mêmes personnes qui le détiennent traditionnellement dans notre société, soit les hommes blancs cis, hétérosexuels et dans une situation privilégiée en raison de leurs moyens financiers et leur éducation. C’est également un problème dans les structures élues, mais l’absence de hiérarchie formelle peut aussi empêcher de promouvoir les groupes discriminés, ce qu'on peut par exemple faire au moyen de quotas.

Au sein des mouvements structurés de façon hiérarchique, comme celui des coronasceptiques, beaucoup de ces aspects sont déjà définis. Dès le début, des leadeuse*eurs plus ou moins charismatiques et souvent autoritaires font leur apparition, et définissent l'orientation du mouvement. Cela se fait sur plusieurs plans à la fois. D'une part, en posant clairement le cadre théorique : on partage dans les canaux de communications des articles et des vidéos jugés pertinentes, et les têtes pensantes du mouvement s'adressent aux masses. Ces leadeuse*eurs se présentent aussi pratiquement dès le début comme les porte-paroles officiel·le·s du mouvement, définissant ainsi ses buts et moyens dans le discours public. Cependant, il est aussi possible dans les mouvements hiérarchisés que les leaders changent, que les contenus changent et que d'autres membres puissent participer.

De nombreux mouvements ont pour trait commun des structures moins claires et des participant·e·s plus autonomes, plus de dynamisme et moins d'inertie qu’au sein des partis. Cela tient notamment à des structures organisationnelles moins claires, et donc à un cadre moins clair de ce qui est possible et autorisé. Cela montre aussi un niveau d'implication plus faible des militant·e·s. Celles*eux-ci peuvent à tout moment disparaître du mouvement ou le réintégrer. Une telle chose n'est pas possible dans les partis, qui s'intègrent et se quittent via une procédure officielle, et dont les structures organisationnelles sont généralement gérées par des personnes rémunérées et/ou liées par un mandat.

Ces caractéristiques rendent les mouvements sociaux agiles et actuels, mais mènent aussi souvent à leur disparition à tout changement de cap. Comme l'aperçu historique présenté dans ce papier l'a déjà montré, il n'est donc pas rare que les mouvements soient absorbés par des associations, des partis, des syndicats ou d'autres structures organisationnelles. C'est pour cette raison que la JS ne peut pas être qualifiée de mouvement, même si, par rapport au PS, elle est capable d'agir plus rapidement, est plus simplement accessible et dispose d'une plus large palette de types d'actions.

Pour conclure ce chapitre, il faut ajouter que les mouvements contemporains comme la Grève du Climat ou la Grève féministe, mais aussi les coronasceptiques, n'apparaissent plus guère de manière isolée dans un pays, mais s'inscrivent au contraire dans le cadre de mouvements de masse mondiaux d'ampleur et de portée variables. Cette superstructure montre certes une certaine coordination internationale et une volonté de la mettre en place, mais les échanges internationaux ne se font généralement que ponctuellement, et les structures visant à les coordonner sont pratiquement inexistantes.

4. Mouvements progressistes vs. réactionnaires

Les mouvements contemporains ont différentes structures organisationnelles, mais aussi diverses motivations. On peut grossièrement les diviser entre mouvements progressistes et réactionnaires. Il faut ici indiquer que tous les mouvements progressistes ne sont pas obligatoirement démocratiques, et vice-versa. C'est cependant le cas dans la majorité des mouvements.

Les mouvements progressistes aspirent à des changements sociétaux qui passent par le dépassement de systèmes d'oppression tels que le capitalisme ou le patriarcat, ou au moins par un pas dans cette direction pour combattre les symptômes de ces systèmes. La Grève du Climat appelle par exemple au « System Change ». Les collectifs de la Grève féministe présentent des revendications comme la fin des inégalités salariales ou la reconnaissance du travail de care. De telles revendications ne remmettent peut-être pas directement en question le capitalisme ou le patriarcat, mais elles créent une prise de conscience de la systématique et des limites du système capitaliste, et ainsi un pas important vers le dépassement de ce dernier.

Les mouvements réactionnaires vont dans la direction opposée. Ils partagent avec les mouvements progressistes une insatisfaction à l'égard de la société actuelle, mais leur but est un retour à un passé souvent idéalisé, ou la lutte contre des changements qui leur semblent imminents. Cela implique de préserver la répartition actuelle du pouvoir et donc les privilèges d'une minorité - voire de les renforcer. Plus largement, cela implique de préserver le capitalisme et les autres systèmes d'oppression. À titre d'exemple, on citera le mouvement français de la « Manif pour tous », qui s'oppose au mariage pour toutes et tous, à l'octroi des droits reproductifs et à d'autres revendications queer. À l'instar de la catégorie des mouvements progressistes, celle-ci recouvre une large palette de mouvements, allant jusqu'à ceux qui veulent transformer profondément la société, incarnés ici par les mouvements fascistes.

L'actualité nous offre un autre bon exemple de mouvement réactionnaire : le mouvement des opposant·e·s aux mesures de lutte contre le coronavirus. Ses actrice*eurs refusent les mesures de protection et la vaccination, et réclament l'accès à tous les lieux, au mépris des vies humaines que leurs actes mettent en danger. En effet, leurs actions font grimper le risque de contaminations par un virus mortel. En tant que mouvement qui veut préserver ses privilèges au détriment d'autrui, une part significative du mouvement coronasceptique mérite le qualificatif de mouvement réactionnaire. En catégorisant ainsi le mouvement, nous comprenons mieux pourquoi on y tolère des antisémites et des membres de l'extrême droite. En effet, ces deux groupes revendiquent également une amélioration et un maintien de leurs propres privilèges et infligent ce faisant un mal considérable à d'autres groupes, ou tout au moins tolèrent ce mal.

5. Assimilation des mouvements par le néolibéralisme et astroturfing

L'une des caractéristiques définissant le capitalisme néolibéral est son aptitude à assimiler tout ce qui lui est « extérieur ». Dès qu'un mouvement gagne en importance, et donc en popularité, il est repris par le capitalisme mais vidé de sa substance et ainsi resservi aux gens. Deux exemples marquants sont le greenwashing et le pinkwashing dans le cadre du mouvement féministe queer. Non seulement les revendications des mouvements sont transformées en arguments de vente, mais elles sont également instrumentalisées par les institutions bourgeoises. C'est ainsi que l'armée tente d'amener plus de femmes dans ses rangs au moyen d'un argumentaire pseudo-féministe, manipulant le féminisme dans son propre intérêt, afin de compenser la diminution du nombre de recrues masculines et la perte de légitimité qui l'accompagne. Une telle instrumentalisation peut aller jusqu'à la création de structures qui se donnent l'air d'être des mouvements : ce processus se nomme l'astroturfing. C'est une méthode employée par des entreprises, des think tanks et des agences de relations publics pour simuler un mouvement populaire de base. On émet des contenus d'un type défini visant à influencer la popularité d'un produit ou l'opinion à l'égard d'une entreprise depuis plusieurs sources contrôlées, sous forme de publications sur les réseaux sociaux, de courriers des lectrice*eurs, de mails ou d'articles de blog. Ces simulations de mouvements sont un nouvel exemple de la perfidie du système néo-libéral. Les mouvements mènent des luttes politiques et sociales : déplacer une question dans la sphère privée vide non seulement les revendications politiques de leur sens, mais cela contribue également à renforcer le dogme néolibéral de la responsabilité individuelle, ce qui lèse aussi les combats politiques à venir. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de mettre en évidence et de critiquer les tentatives d'astroturfing.

6. Conclusions de la JS Suisse concernant les mouvements sociaux

En tant que socialistes, nous savons que nous ne pourrons pas renverser le capitalisme à coup d'initiatives populaires et de motions parlementaires. La route vers le socialisme passe par la rue, et les mouvements en sont un élément indispensable et central. Les grands changements sociétaux ne se produisent pas seulement progressivement, mais aussi souvent par bonds, lorsque le mécontentement atteint un point de cristallisation et qu'un climat d'espoir apparaît, et que soudain tout semble possible. En tant que JS, il est de notre devoir de former théoriquement et techniquement les (jeunes) gens, et de les préparer pour qu'on reconnaisse ces "fenêtres d'opportunités" et qu'on ne les manque pas. C'est pourquoi nous devons offrir aux jeunes un foyer politique stable tout en renforçant notre ouverture aux militant·e·s issu·e·s des mouvements.

Sur la base de cette analyse, la JS doit adopter à l'égard des mouvements l'attitude qui suit :

  • La JS reconnaît qu'elle n'est pas un mouvement :
    • Cependant, en tant que parti relativement peu institutionnalisé, elle peut offrir des connexions entre la rue et les institutions en participant à des assemblées plénières, des discussions, des manifestations, des actions et des formations, ainsi qu'en transmettant des revendications de manière informelle ;
      La JS emploie les moyens offerts par la politique institutionnelle, mais ne poursuit souvent l'objectif tant d'une victoire électorale ou en votation que d'un changement de discours.
    • La JS Suisse est consciente qu'elle est issue du mouvement ouvrier et qu'elle s'est développée à travers les mouvements écologique et féministe, parmi d’autres. Les membres individuel·le·s peuvent continuer à se considérer comme appartenant à ces mouvements, et sont encouragé·e·s à continuer de les façonner ;
    • La JS reconnaît les avantages et les inconvénients de sa structure de parti, comme une clarté et une transparence de ses structures organisationnelles, des financements, etc. La transparence du pouvoir est particulièrement précieuse, pour ce qu'elle apporte aux mouvements par la formation de membres.D'un autre côté, ces structures peuvent conduire à une certaine inertie et sont potentiellement moins dynamiques que les mouvements.
  • La JS analyse régulièrement les mouvements et leurs dynamiques :
    • La JS conduit très régulièrement en interne des analyses temporelles et observe les mouvements déjà existants.
    • La JS lutte contre la dépréciation des mouvements progressistes par le capitalisme et contre les mouvements réactionnaires. Cela inclut notamment un travail antifasciste.
  • La JS construit des ponts entre les mouvements progressistes et le PS :
    • La JS porte les revendications et les analyses de mouvements choisis dans les structures et les contenus théoriques du PS.
  • La JS reconnaît l'indépendance des mouvements :
    • L'absence d'affiliation partisane des mouvements les rend également accessibles aux personnes encore peu politisées. Ce n'est qu'à travers leur engagement qu'elles se politisent. La JS souhaite préserver cette indépendance.
    • Dans un même temps, la JS reste consciente que les contenus théoriques des mouvements sont constamment façonnés par diverses tendances. Elle se considère comme une force socialiste à l'intérieur de ces structures, portant sa vision anticapitaliste à travers la discussion avec les militant·e·s, des prises de position en assemblées, etc. Elle tient cependant compte des divisions avec les tendances orientées plus à droite.
  • La JS s'ouvre davantage aux mouvements progressistes
    • La JS peut décider de proposer du soutien aux groupes de mouvements sociaux sous forme de modules de formation, d'infrastructure ou de réseau.
    • La JS mène à l'interne un travail de formation autour des mouvements, de leurs motivations, leurs contenus théoriques, leurs façons de s'organiser et leur importance.
    • La JS cherche activement à échanger avec des mouvements sélectionnés et ne se limite pas à l'existence de membres qui s'engagent de toute manière déjà dans leurs mouvements respectifs.
    • La JS procède à une étude permanente, en comparaison avec des mouvements choisis, de sa propre réactivité, sa hiérarchisation et son niveau de mobilisation, ainsi que d'autres moyens et formalités. La JS doit apprendre des mouvements et rester elle-même en mouvement.
    • La JS procède à une étude permanente de ses propres formations et contenus théoriques en ce qui concerne le féminisme, l'antiracisme, l'anticapitalisme et ll'antifascisme.

[1] Nous vivons actuellement en démocratie bourgeoise, dans laquelle de nombreux domaines de la vie sont exclus de la participation démocratique, particulièrement l'économie. Lorsque nous écrivons le terme démocratie, nous entendons par là la démocratie radicale, qui inclut toutes les sphères de la vie. Dans une telle démocratie, toutes les personnes doivent avoir le droit de participer aux prises de décisions qui les concernent.

Lorsque nous faisons référence à la démocratie bourgeoise, elle sera explicitement nommée comme telle.

[2] cf. DHS : https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/016479/2014-02-24/ (consulté le 25.09.2021).

[3] cf. DHS : https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/016533/2012-08-09/ (consulté le 25.09.2021).

[4]Nota bene : toutes ces initiatives furent retirées ou déclarées juridiquement nulles avant de pouvoir passer en votation.

[5] cf. DHS : https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/027157/2010-12-21/ (consulté le 25.09.2021).

[6] cf. DHS : https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/016515/2012-03-27/ (consulté le 25.09.2021).

[7] cf. DHS : https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/017413/2017-03-20/ (consulté le 28.09.2021).

[8] cf. DHS : https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/017382/2020-01-06/ (consulté le 28.09.2021).

[9] Événement prédécesseur de l'actuel 8 mars.

[10] cf. DHS: https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/016497/2021-02-23/ (consulté le 29.09.2021).

[11] cf. DHS: https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/058286/2019-06-12/ (consulté le 29.09.2021).