Prise de position de la JS Suisse adoptée lors de l'assemblée annuelle extraordinaire du 19 juin 2022 (Berne)
La crise climatique est le problème le plus urgent de notre époque. Elle menace plusieurs des bases de notre vie sur terre. Si l'on veut éviter que cette crise ne prenne l'ampleur catastrophique à laquelle on peut s'attendre aujourd'hui, voire qu'elle n'entraîne des conséquences encore plus graves, le réchauffement du climat terrestre ne doit pas dépasser 1.5°C par rapport à l'ère pré-industrielle. Le réchauffement actuel est déjà de 1.1°C. La limite de 1.5°C devrait être atteinte en 2028. L'urgence, c'est maintrenant ![1]
Jusqu'à présent, la politique climatique suisse dominée par l'idéologie bourgeoise n'a pris que des mesures parfaitement insuffisantes. En tant que JS Suisse, nous savons qu'il est nécessaire de dépasser le capitalisme pour pouvoir endiguer la crise climatique de manière adéquate. Nous nous engageons pour une politique climatique sociale, efficace et conséquente, et nous nous sommes déjà penché·es sur la gestion de la crise climatique dans plusieurs papiers de position et résolutions.[2] En 2016, nous avons adopté un papier de position sur ce thème, et en 2019, nous avons présenté un plan de mesures concrètes.
Mais il ne suffit pas de vouloir dépasser le capitalisme, il faut savoir où nous voulons aller. C'est pourquoi ce papier esquisse une vision qui doit poser les jalons de notre politique climatique. Une vision sur la manière dont nous pouvons éviter la crise climatique et ainsi offrir à tous·tes une vie épanouissante en renversant le système existant et en opérant un changement de système transformateur.
Le capitalisme comme cause de la crise climatique
Le capitalisme se définit par la propriété privée des moyens de production. Historiquement, la première étape vers celle-ci fut l'accumulation primitive,[3] rendue possible notamment par la privatisation de champs communs. Les colonies européennes ont également joué un rôle clef. La destruction de l'environnement et des conditions de vie dans les territoires colonisés, combinée avec l'exploitation du travail de personnes réduites en esclavage, a livré les ressource qui ont rendu possible l'apparition du mode de production capitaliste. C'est par exemple ainsi que les colons britanniques ont complètement démantelé l'industrie textile indienne qui fonctionnait de façon durable depuis des millénaires, pour détourner les livraisons de coton vers le capitalisme européen naissant.
La propriété privée des moyens de production signifie qu'une poignée de bourgeois possède l'ensemble des infrastructures nécessaires à la production de biens et de services, et peut donc décider seule de leur utilisation, sans avoir à tenir compte des besoins des 99% et des capacités planétaires. Mais cela ne signifie pas que les capitalistes sont libres de faire ce qu'elles et ils veulent : elles et ils sont soumis·es aux contraintes de la concurrence. Pour pouvoir rivaliser avec les autres capitalistes, il leur faut accumuler du capital. C'est pourquoi tout le système est basé sur la maximisation du profit à long terme et la croissance.
La maximisation des profits à court terme permet aux bourgeois d'accumuler autant de capital que possible. Pour maximiser ces profits, elles et ils exploitent non seulement les travailleuse·eurs, mais aussi l'environnement.Pour faire du profit, le capital essaie continuellement d'élargir sa prise sur la nature. Cela passe non seulement par l'achat de terre, mais aussi par l'appropriation par la violence. Les peuples indigènes et les petit·es paysan·nes sont celles et ceux qui en souffrent le plus.
D'un point de vue scientifique, les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine sont la cause de la crise climatique. Ces dernières viennent en grande partie des combustibles fossiles. Et c'est là le problème : sans énergies fossiles, nous n'aurions pas de transports bon marché, de faibles coûts de production, et donc pas le profit maximal. Et même si, actuellement, certaines sources d'énergie renouvelables auraient des coûts plus faibles, les bourgeois ont peu intérêt à cesser d'investir dans les énergies fossile tant qu'elles sont encore profitables. De plus, cette maximisation du profit fonctionne sur le court terme, et est donc à l'opposé de la perspective à long terme nécessaire pour respecter les limites planétaires. En bref : ce qui n'est pas rentable ici et maintenant passe à la trappe, et peu importe les conséquences dévastatrices pour notre planète et surtout pour les individus l'habitant.
Une partie des profits va directement dans la poche des bourgeois, tandis qu'une autre partie est investie dans les entreprises pour les moderniser et les agrandir pour qu'elles puissent produire plus, et moins cher. On appelle ce processus l'accumulation du capital. Si les capitalistes n'agissaient pas comme ça, elles et ils seraient écrasé·es par la concurrence. Il en résulte un cercle vicieux dans lequel la production croît indéfiniment et les émissions de gaz à effet de serre augmentent indéfiniment. La conséquence directe de l'accumulation du capital est une obligation de croissance. La masse toujours plus importante de biens doit ensuite être consommée, ce qui est rendu possible entre autre par la publicité et l'obsolescence programmée.[4] La surconsommation est donc une conséquences directe de la surproduction capitaliste.
Enfin, dans le capitalisme, les personnes qui détiennent la richesse disposent d'un énorme pouvoir politique. Les richissimes lobbys des combustibles fossiles, et de tous les autres intérêts économiques qui contrastent clairement avec la protection de l'environnement, bloquent toute politique environnementale qui nuirait aux intérêts des capitalistes. Cela passe notamment pas la diffusion de "fake news", et par des campagnes qui relativisent la gravité du problème et appellent à préserver le système destructeur actuel. C'est encore un élément caractéristique du capitalisme qui le rend incompatible avec la protection de l'environnement.
Le pourcent le plus riche profite considérablement de ce système destructeur, tandis que les 99% restants en souffrent. Les personnes racisées, les femmes, les minorités de genre, les travailleuse·eurs du Sud global,les personnes les plus pauvres du Nord global et les animaux sont particulièrement touchés. Bien qu'elles aient peu contribué à la crise climatique, ces groupes sont affectés à plusieurs titres par ce système destructeur. D'une part, ils sont exploités dans le processus qui provoque la crise climatique, par l'interaction du capitalisme et d'autres systèmes d'oppression. D'autre part, ils sont les plus touchés par les conséquences de la crise climatique. Ils sont massivement menacés par les catastrophes naturelles, vivent dans des environnements pollués et ont plus de mal à s'adapter en raison de leur vulnérabilité économique.
Pour une politique climatique sociale
La réponse de la politique suisse bourgeoise à cette situation intenable se résume en deux mots : responsabilité individuelle. On nous présente la crise climatique comme un problème individuel et non systémique. L'idée est que pour résoudre la crise climatique, il suffit de laisse le marcher s'orienter vers des branches ayant un impact écologique moindre, comme les voitures électriques. En fait, on traite le problème environnemental comme une nouvelle opportunité de croissance. Cette idée résulte d'un calcul capitaliste : on cache ainsi les gros·ses émettrice·teurs de gaz à effet de serre, et on met la faute sur les individus, qui se blâment mutuellement. Pourtant les leviers importants sont les grandes entreprises et le pourcent le plus riche. On met en avant la responsabilité individuelle sans toucher aux véritables responsables de la crise climatique. Le pourcent le plus riche, les grosses entreprises et la place financière suisse sont protégé·es. Les militant·es qui alertent sur cette situation et s'y opposent sont réprimé·es dans le monde entier.
Les nouvelles lois en Suisse ne prévoient que des incitations mais pas d'interdictions. Il en résulte une hausse des prix de l'essence et du chauffage au mazout, ainsi que d'autres conséquences négatives pour la population. L'échec de l'incohérente loi CO2 symbolise cette tendance. Cette dernière a été rejetée dans les urnes à l'été 2021. Seul soi-disant acquis de la politique climatique bourgeoise de la Suisse, c'était une proposition injuste et inefficace, qui aurait misé sur la responsabilité individuelle des 99% et sur des incitations financières, sans demander des comptes aux véritables responsables de la crise climatique. On voit donc bien que dans leur "politique climatique", les bourgeois échouent complètement.
Parmi les autres caractéristiques de la politique climatique bourgeoise, on trouve la focalisation sur la consommation, les mécanismes marchands et les solutions technologiques. La focalisation sur la consommation est une conséquence directe du conte de fée de la responsabilité individuelle. La politique climatique bourgeoise vise créer de nouvelles pratiques de consommation des 99% plutôt que de renverser la logique de surconsommation et de surproduction. Nous sommes pourtant conscient-e-s que la surproduction et les incitations à la consommation, propres au système capitaliste, mènent à la surconsommation et, donc, à l'épuisement des ressources planétaires. Les mécanismes marchands comme les droits d'émission échangeables jouent également un grand rôle dans la politique climatique bourgeoise. Lors des négociations internationales sur le climat, la Suisse soutient particulièrement ces mécanismes, surtout afin de financer des réductions des émissions dans d'autres États (qui auraient en partie eu lieu de toute façon) au lieu de s'occuper de ses propres émissions. Ces mécanismes marchands ne sont pas simplement un moyen insuffisant pour une politique climatique efficace : ils se sont même montrés contre-productifs dans leurs premières années d'application, en ralentissant la sortie des énergies fossiles. Enfin, la politique climatique actuelle est caractérisée par la croyance que les technologies et les innovations pourraient résoudre la crise climatique. Le développement de technologies de moins en moins polluantes est assurément une très bonne chose, et sera extrêmement utile, tout comme le progrès scientifique. Il est cependant clair que ces nouvelles technologies ne suffiront pas à résoudre la crise. Et surtout, l'impératif de la croissances réduit à néant les bénéfices potentiels de ces technologies. Des machines moins polluantes encourageront les capitalistes à produire encore plus, pour accumuler encore plus de profit. Les nouvelles technologies ne sont pas employées pour produire la même quantité de quelque chose en moins de temps, mais pour produire plus sur la même durée. De fait, les innovation ne peuvent avoir un impact positif que sur une société libérée de la logique capitaliste. Ce n'est qu'au sein d'une société post-croissance que le progrès technologique pourra bénéficier à l'environnement et aux gens, au non accélérer les processus d'exploitation et d'élimination des ressources naturelles.
Nous avons donc besoin de toute urgence d'une alternative à cette politique climatique bourgeoise : une politique climatique sociale. Nous n'attribuons pas la responsabilité de la crise climatique aux individus : nous montrons que c'est le capitalisme qui en est responsable. Ce ne sont pas les 99%, mais les personnes qui profitent le plus de ce système destructeur – les ultra-riches - qui doivent payer pour combattre la crise et ses conséquences. Les grandes entreprises et la place financières doivent également , par des interdictions, une taxation et un contrôle démocratique, enfin être tenues responsables. Notre politique climatique ne veut pas changer les habitudes de consommation des 99%, mais le mode de production. Nous avons donc besoin d'une transformation écosociale de la sphère productive. Cette transformation ne doit laisser personne sur le bord du chemin : la dimension sociale de notre politique climatique est absolument centrale. En outre, pour assurer une transition écologique pour le 99%, le travail du care doit être un levier important et une composante principale de la lutte contre la crise climatique. Enfin, notre politique climatique est internationaliste et défend la justice climatique. Les 99% du Sud global doivent être protégé·es au mieux des conséquences de la crise climatique, et soutenu·es inconditionnellement pour s'adapter à cette situation.
Notre vision : une vie épanouissante pour tous·tes !
Nous voyons donc que le capitalisme provoque et favorise les crises, et fonde le profit d'un petit nombre sur l'exploitation des 99%. C'est maintenant que nous devons oser nous lancer vers un avenir qui garantit à tous·tes une vie épanouissante. De nombreux plans de mesures détaillant les étapes vers une société sociale et radicalement anticapitaliste existent déjà, il faut maintenant les appliquer, et pour cela, nous devons récupérer l’argent qui nous revient ! Pour que nous puissions montrer aux gens quelle est la société pour laquelle nous voulons nous battre, nous avons besoin d'idées claires, et nous en avons : notre vision d’une société écosocialiste s'appuie sur trois piliers : planification écologique démocratique, post-croissance et économie du care.
Planification écologique démocratique
La transformation économique ne peut pas se produire isolément, mais s'accompagne obligatoirement d'une transformation radicale de toutes les structures sociales. L'objectif doit être une économie planifiée démocratique, écologique et décentralisée : ce n'est qu'ainsi que l'on pourra mettre l'intérêt de l'ensemble de la société au cœur de nos préoccupations. Par une gestion et une planification à plusieurs niveaux, au sein des entreprises, dans les institutions politiques ou via les associations. Une gestion dans laquelle les personnes concernées décideraient elles-mêmes de la production et des moyens nécessaires pour y parvenir en tenant compte des besoins des populations et des capacités de l'environnement. Nous devons garantir que la production soit raisonnée et reflète les besoins réels des populations, que le tournant écologique commence et qu'il se fasse dans l'intérêt du plus grand nombre et enfin que ni la nature, ni les animaux, ni les humains n'aient à subir l'exploitation.
Post-croissance
Notre société doit impérativement être libérée de l'obligation capitaliste de la croissance. Nous aspirons à une société post-croissance, qui implique une dématérialisation, une responsabilisation et une relocalisation de l'économie par une réduction contrôlée des activités économiques qui nécessitent des intrants matériels.[5] On pourra ainsi endiguer puis surmonter la surproduction comme la surconsommation. Cela signifie qu'il faut lancer un processus qui aspire à construire une nouvelle société fondées sur d'autres valeurs, telles que la durabilité, la démocratie, l'équité et le bien-être collectif. La croissance peut et doit se référer à la qualité, et non plus, comme jusqu'à présent, à la quantité. Il faut produire mieux et en fonction des besoins, plutôt que toujours plus. Pour que les gens aient plus de temps pour s'épanouir, nous avons besoin d'une réduction massive du temps de travail. Cela laissera plus de temps pour les activités sociales et la famille. En outre, cette mesure pourra contribuer de manière décisive à la suppression des inégalités sociales.
Économie du care
Dans une société écosocialiste, le travail du care joue un rôle central : c'est le seul moyen pour que la vie en commun au sein d'une société réponde aux besoins humains et animaux. Le secteur du care doit être collectivisé et organisé démocratiquement.[6] Le recours aux services de care représente un besoin fondamental de tout individu sentient, ce qui fait du care une pierre angulaire de toute forme de vie en commun.[7] L'organisation décentralisée et étatisée des structures du care au sein des communautés est donc inévitable et cruciale pour une autogestion décentralisée et axée sur les besoins. Une société solidaire, qui répartit de manière juste le travail de care en son sein, est plus résistante aux crises. Grâce à une trame sociale solide, elle est plus résiliente face aux catastrophes et aux crises - une qualité dont le besoin devient urgent, notamment avec la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes dans le cadre de la crise climatique.
Vers le tournant écosocialiste !
Si nous voulons garantir non seulement la survie, mais aussi une vie épanouissante pour chacun·e, il faut initier le tournant dès maintenant. Le dépassement du capitalisme est inévitable, et plus urgent que jamais. Nous ne croyons pas au conte de fée de la croissance verte ; nous nous engageons pour une politique climatique radicalement sociale et anticapitaliste. Les responsables de la crise auraient déjà dû passer à la caisse hier, mais aujourd'hui nous leur demandons des comptes, car il est temps d'en finir avec ce système destructeur ! Un autre monde est possible : en avant pour l'écosocialisme !
Notes de bas de page
[1] Masson-Delmotte, Valérie et al. : Global Warming of 1.5°C. Summary for policy makers (im Rahmen des IPCC Berichtes), o.O 2022
[2]https://juso.ch/fr/positions/climat/
[3] L'accumulation primitive désigne le processus (environ à partir du 15e siècle) qui a permis la mise en place des rapports de production capitalistes et de l'accumulation du capital.
[4] L'obsolescence programmée désigne la limitation consciente par une entreprise de la durée de vie d'un produit.
[5] Grève du climat suisse : Plan d'action climatique. 2021, p. 29. : https://admin.climatestrike.ch/uploads/Plan_d_action_climatique_1_0_32d21fb652.p - df
[6] Winker, Gabriele: Care-Revolution als feministisch-marxistische Transformationsperspektiv, in: das Argument, XX 2015, p. 538.
[7] Madörin, Mascha: Care Ökonomie. Eine Herausforderung für die Wirtschaftswissenschaften, in: Caglar, Gülay (Hrsg.): Gender and Economics. Feministische Kritik der politischen Ökonomie, Wiesbaden 2010, p. 90.